J'ai appris aujourd'hui un nouveau mot : “rationnaire“. C'est ainsi que, dans l'éducation nationale où l'on se pique d'apprendre le français aux jeunes générations, on nomme, comment dire, l'unité d'usager de la cantoche, l'élève en demi-pension, le porteur de crocs des réfectoires. "Rationnaire“ !
Dans ce pays où le Président, avec le langage d'un domestique de l'entre deux-guerres, se vante d'avoir “une bonne place“, où l'on tolère les bars à putes en interdisant les bars à fumeurs, on devrait rétablir, tant qu'on y est, la peine de mort pour les massacreurs de notre belle langue, les inventeurs ou les usagers de mots aussi dégoûtants.
Dans “rationnaire“, il y a tout à la fois “ration“, “rationnement“, une connotation militaire, voire concentrationnaire, qui rappelle la guerre ou l'après-guerre (mais c'est vrai que l'Histoire, c'est bon pour les poubelles), et quelque chose d'“objectif“ qui réduit le sujet (l'élève) à un objet.
Dans “rationnaire“, il n'est question que de quantité limitée, à peine suffisante et jamais de qualité. “Rationnaire“, donc !
C'est qu'il faut maintenant respecter les règlements d'hygiène européens, dans les cantines. Ça veut dire quoi ? Que viandes, poissons, légumes et fruits doivent être calibrés et traçables. Bons, goûteux, naturels, cuisinés avec amour ? On s'en fout.
Il faut qu'ils soient sans risques, à court terme. Pas de problèmes, pas de polémiques... Tout est fait pour l'hygiène apparente, rien pour l'hygiène profonde, celle qui forme et entretient le goût, le plaisir, la santé. Les “rations“ doivent peser un certain poids, sont mises sous barquettes en plastique non recyclables, marquées de couleurs repérables.
Leur contenu est “scientifiquement“ décidé par des spécialistes nommés "nutritionnistes“, qui ont remplacé les cuisinières d'antan, et doivent se conformer pour l'essentiel aux diktats des centrales d'achats et des cuisines centralisées, pardon, des laboratoires, ça fait plus propre, faute de l'être.
Spécialistes de quoi, d'ailleurs ? A une question sur l'équilibre douteux des repas servis, une nutritionniste scolaire (les mêmes pullulent dans les hôpitaux et les maisons de retraites), pénétrée de l'importance de son métier, a récemment répondu : “Mais ça ne sert à rien, de faire des repas équilibrés à la cantine... On n'en sert que quatre par semaine et les enfants mangent n'importe quoi ensuite, sept matins, sept soirs et les trois autres midis.“
Avec ça, les vaches sont bien gardées.
PS - Dans un genre proche -le genre “on marche sur la tête“-, j'ai entendu hier cette histoire horrible qui m'a d'abord fait hurler de rire. Ça se passe dans un hôpital. Un malchanceux, manchot d'un bras et dont le second bras, qui vient de subir une intervention, est inutilisable, se voit proposer des repas qui repartent sans avoir été touchés.
Au bout de quelques jours, aucun membre du personnel soignant n'a pensé à lui proposer de l'aide pour manger, mais on signale consciencieusement sur sa fiche qu'il soufre d'anorexie. Je n'en jurerais pas, mais je crois me souvenir qu'on me l'a rapportée comme une histoire vraie.
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