Depuis des mois, en fait depuis presque un an, les Banques Centrales font ce qu'elles peuvent pour calmer la tempête financière révélée en août 2007 : au fur et à mesure que se développaient les dégâts causés par les subprimes et leur titrisation, elles ont appliqué avec constance et détermination des recettes connues (et qu'on avait ignorées en 1929) : baisse des taux aux Etats-Unis et injection massive de liquidités pour parer au credit crunch.
Pendant des mois, les autorités politiques -en France, en Europe, aux Etats-Unis et ailleurs- ont été absentes, muettes ou mensongères, en tout cas inopérantes et sans doute contre-productives. Dans chaque pays, pour des raisons de politique intérieure, elles ont nié, évité, minoré, considéré comme réglée, une crise dont on a peine à croire qu'elles n'en percevaient ni l'ampleur, ni les conséquences possibles.
Il y a trois semaines, lorsqu'il est apparu que les cinq plus grandes banques d'affaires américaines étaient en faillite ou en grande difficulté, rejointes par AIG (premier assureur américain) et que, dans le même temps, commençaient à tomber des indicateurs économiques réellement inquiétants (baisse de l'activité économique, montée du chômage, etc), tout le monde s'est réveillé.
Au plus mauvais moment, à quelques semaines de l'élection présidentielle américaine, c'est-à-dire au début de la séquence où, pour quelques mois (le temps de l'élection et celui de l'installation d'une nouvelle administration), il n'y a plus vraiment de direction dans le pays-clé de la crise.
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En quelques heures, à partir du 15 septembre, tous les dirigeants du monde se lèvent comme un seul homme. En ordre dispersé, bien sûr.
Tandis que ses confrères font sans doute pareil dans leur coin, Nicolas Sarkozy donne de la trompette et du tam-tam à l'ONU, le 23 septembre, puis à Toulon, le 25.
Beaux discours : en substance, ça va mal, c'est grave, très grave, parce qu'il y a méchants qui ont dévissé quelques boulons et font rudement tanguer l'avion. D'ailleurs, on va les retrouver et on n'hésitera pas à les balancer dans le vide, sans siège éjectable, ni parachute doré. Mais, l'avion est bon, il y a un pilote qui tient fermement les manettes, donc rien à craindre. Fermez les écoutilles, serrez-vous la ceinture. Ouf !
Pendant les péroraisons, la crise continue. La grippe financière ne connaissant pas plus de frontières que la grippe aviaire, et le pire n'étant jamais le moins sûr, la contagion s'étend.
Elle est portée par deux facteurs aggravants : d'un côté, le Plan de sauvetage de 700 à 1.000 milliards de dollars, concocté par le Secrétaire au Trésor américain, est d'abord repoussé par les députés puis, finalement adopté, ne rétablit pas la confiance ; de l'autre, plusieurs banques européennes (Fortis, Dexia, Royal Bank of Scotland, Hypo Real estate, etc) commencent à être mises à mal. Sans compter un Etat, l'Islande, quasiment mis en faillite. Du coup, financiers, boursiers et gouvernants s'affolent.
Les Bourses dévissent et s'ensuit le krach de la semaine passée.
Du côté des gouvernants, on discourt en continu à la télé comme le ferait un sauveteur pour maintenir un mourant en éveil -dire tout et n'importe quoi, l'essentiel étant de parler- et, du bord du gouffre, on convoque à la hâte des sommets : les G4 succèdent aux G7, précédés par des “j'ai tout compris“, “j'ai convoqué l'Euro-groupe“ et “j'ai décidé de garantir jusqu'au dernier sou“, G8, G12, G20. Touché, coulé.
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Ces gens se battent, il faut le reconnaître. Leurs poches sont vides, sauf celles sous les yeux. Mais, jusqu'ici, ils échouent à rétablir et la confiance et la situation.
Parce qu'ils s'y sont pris trop tard. Mais surtout, parce qu'ils tournent à vide. Ils ne s'intéressent pas ou ne comprennent rien aux conséquences des politiques libérales qu'ils mènent en aveugles depuis bientôt 30 ans : ils croient ou disent avoir à faire à des débordements, à des comportements, à des phénomènes dangereux mais périphériques au capitalisme, quand c'est le cœur même de ce qu'ils ont mis en place et du système qu'ils servent qui est en cause.
L'absence de régulation internationale rend leur action quasi-impossible, l'interdépendance consécutive à la mondialisation la rend inopérante au niveau national. Bien sûr, chacun entend agir en concertation avec les autres, mais seul.
Mme Lagarde a ainsi expliqué ce samedi matin que "chacun de nos marchés (était) différent en
termes de taille, de réglementation, en termes d'acteurs, donc il ne
faut pas imaginer qu'on aura une réponse harmonisée qui sera la même
pour tout le monde".
Au bout du libéralisme, il n'y a plus place ni réelle marge de manœuvre pour les Etats. Encore moins pour les groupes d'Etats. L'Europe en a donné de tristes preuves depuis quelques jours.
Pas de marge de manœuvre ? Si, tout de même, il y en a une : l'argent présent et à venir de la chair à canon économique, les contribuables et leurs enfants. Les dirigeants actuels des grands pays sont prêts à tout pour éteindre le feu, sans remettre en cause leur idéologie.
Peu avares de jésuiteries et puisqu'“Il faut que tout change pour que rien ne change“, comme l'écrivait Lampedusa, ils sont même disposés à faire semblant de trahir leur idéologie, à nationaliser, si besoin est, le système bancaire, en en faisant supporter le coût aux contribuables contemporains et aux générations futures. Quitte à re-privatiser dans quelque temps. Avec, jurent-ils de belles plus-values. Demain on rase gratis.
A la guerre, on appelle ce type de manœuvre un repli stratégique. Pas un changement de stratégie, de modèle ou de paradigme, comme disent les sachants et les importants.
Or c'est bien de cela qu'il s'agit. C'est bien un changement de modèle idéologique qu'il s'agit d'opérer pour rétablir la confiance.
Les dirigeants actuels ne sont effectivement pas les mieux placés, idéologiquement, intellectuellement et moralement, pour le conduire. Pas un n'a évoqué une réforme d'ampleur. Pas un n'a remis en cause ce système. Pas un n'a remis en question son propre fonctionnement. Pas un ne s'est admis responsable et coupable.
Et ils voudraient qu'on retrouve confiance...
PS - S'agissant du rétablissement de la confiance des marchés, ce n'est pas la réunion vendredi des grands argentiers du G7 et du FMI qui fera bouger les lignes : le communiqué final sonne creux, évocant des principes, sans détailler aucune action concrète.
Du coup, l'Euro-groupe, réuni ce dimanche à Paris, est condamné à prendre des décisions spectaculaires : il est question de nationaliser systématiquement les grandes banques de la zone Euro qui viendraient à être en difficulté et, surtout, de garantir les prêts inter-bancaires, dont la paralysie bloque aujourd'hui l'économie. Cher, très cher, mais pas sot.
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