Sans doute par manque de subtilité, je n'ai jamais “cru“ à la complexité. Ou du moins à sa généralisation. A tort ou à raison, je crois que la plupart des grandes choses sont simples et que si elles ne le sont pas, le travail de l'intelligence est de les rendre simples.
Reste que toutes sortes de gens, et de plus en plus en fait depuis un bon siècle, font commerce de la complexité. Ou, plutôt, de la fausse complexité. Parfois par conviction, souvent pour se délimiter un territoire et se faire une place au soleil.
Il leur suffit de rendre obscur ou compliqué ce qui pourrait être clair, d'ajouter des couches de vraie ou de fausse connaissance et de s'auto-proclamer experts, spécialistes, connaisseurs, médiateurs ou que sais-je.
De la chose politique à l'exercice de la médecine, du droit à l'administration, de la finance à l'art contemporain, on nous vend de la complexité. Si l'on ne comprend pas, c'est qu'on est idiot, qu'on ne respecte pas le savoir, les règles, la culture supposée commune.
Les produits financiers sont un exemple de cette étrange “complexification“ du monde. Dans les salles de marchés, on n'achète plus depuis longtemps des pièces d'or, sonnantes et trébuchantes, mais des produits dématérialisés, des options d'options, dont plus grand monde ne sait à quoi elles correspondent.
Tant que la confiance règne et que tout le monde en fait son beurre, on fait semblant de croire à leur valeur. De toutes manières, les choses sont si “complexes“ que personne n'est plus responsable. De temps à autre, un accès de lucidité traverse les esprits et cela donne la crise des sub-primes ou un bon krach. Et aussitôt, on repart.
L'art contemporain, aussi spéculatif que la finance, est un des lieux où se déploie aujourd'hui la complexité. Pour n'évoquer que l'art occidental, en sept siècles, il a connu six strates de clients : successivement l'église, les princes, les bourgeois, les musées d'Etat, les entreprises, les musées territoriaux.
On ne racontait pas d'histoires à l'Eglise. La mission de l'artiste était simple : illustrer au mieux l'idéologie et les légendes de son client. On ne racontait pas d'histoires aux princes, on flattait leur gloire.
Avec le temps, on a pris plus de liberté avec les bourgeois. S'il s'agissait d'abord pour l'artiste de les mettre en valeur, ce sont ensuite leurs valeurs qui ont été mises en avant. Puis leur idéologie. Puis l'art s'est pris pour son propre objet. L'artiste a cessé d'être un artisan et, peu à peu, a mis en avant son propre univers, sa vision propre.
Il s'en est suivi cette période féconde de la peinture qui débute avec Goya, Turner, puis les impressionnistes et culmine avec ce qu'on appelle l'art moderne, interrogation collective et individuelle sur la forme et le fond de ce qu'est l'art.
Il y a quelque 40 ans, au moment même où la spéculation sur l'art se développait et où se multipliaient mondialement les musées publics et privés dédiés aux collections contemporaines, cette interrogation a semblé parvenir à un terme ou à une impasse avec Klein, Fontana et quelques autres.
Et tandis que certains, comme les tenants du pop art, s'orientaient, souvent avec talent et humour, vers le commentaire et la critique sociale, que d'autres “réinventaient“ la peinture, il a semblé nécessaire à d'autres encore que l'art sorte de son cadre.
Il ne s'agissait plus de décorer des salons et des salles à manger bourgeoises mais, pour certains, d'habiller la rue de grafittis, de créer un art véritablement populaire et, pour d'autres, de créer un art “culturel“, “intellectuel“, “complexe“, destiné à peupler d'installations les musées publics ou privés, les galeries ou les halls d'entreprises.
Cet art “culturel“, exclu du décor privé, mais destiné à la décoration publique est très rapidement devenu institutionnel et a été très vite miné par la spéculation.
Puisqu'il fallait avoir un goût étrange pour acheter une œuvre cubiste en 1910 qui valait maintenant des millions de dollars, la bizarrerie est devenue la règle. L'“irresponsabilité“ des acquéreurs publics de collections a fait le reste.
En parcourant la FIAC (où sont exposées les trois œuvres ci-dessus -et de haut en bas- de Olaf Nicolai, Kcho et John Armleder), on voit de bien belles choses, mais aussi une infinité de “produits“ spéculatifs, souvent incompréhensibles, inappréciables et injustifiables au plan de l'esthétique ou du discours.
Mais qu'importe, ils décrivent un monde “complexe“ : c'est ce qui fait la valeur de cet art de salle de marché :)
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