Voici trente ans, en 1977, il est apparu sur le perron de l'Elysée, tenant le bras d'un Jean-Paul Sartre fatigué. Avec Bernard Henri Lévy, Pascal Bruckner, Alain Finkiekraut, André Glucksmann a été le héros de la première opération marketing d'envergure de l'industrie du livre français, initiée par Françoise Verny.
Jeunes, lookés “romantiques“, le verbe haut, l'indignation forte, ils maîtrisent bien l'art de passer à la télé. Ils se rangent derrière Alexandre Soljenitsyne, dénoncent le goulag et, avec lui, les idéologies totalitaires, communisme et fascisme.
Ils disent vouloir faire sortir la philosophie de sa tour d'ivoire, les intellectuels de leurs réunions de comptoir, militent pour un engagement politique humaniste, défenseur des libertés : il passent alors pour une nouvelle gauche éclairée, quelque part entre gauchisme et libéralisme. Leur anti-soviétisme d'alors est jugé moderne, dynamique, progressiste.
Dès l'origine pourtant, ils sont contrés par d'autres intellectuels comme Michel Foucault, Jacques Derrida, Pierre Bourdieu ou Gilles Deleuze, qui ne s'y laissent pas prendre.
Ce dernier, dès 1977, dit à leur propos, dans une longue et belle interview : “Je crois que leur pensée est nulle. Je vois deux raisons possibles à cette nullité. D'abord ils procèdent par gros concepts,
aussi gros que des dents creuses, LA loi, LE pouvoir, LE maître, LE monde, LA rébellion, LA foi, etc. Ils peuvent faire ainsi des mélanges grotesques, des dualismes sommaires, la loi et le rebelle, le pouvoir et l'ange...
“Ce qui me dégoûte est très simple : les nouveaux philosophes font une martyrologie, le Goulag et les victimes de l'histoire. Ils vivent de cadavres...“
Avec le temps et la déconfiture du bloc soviétique, les nouveaux philosophes, comme privés de raison d'être, vont tomber le masque.
Finis les faux-semblants, le progressisme de façade. Leurs nouveaux combats les font tout à la fois, au nom de la liberté, promoteurs du libéralisme et du néo-conservatisme américain, avec un arrière-plan de haine contre l'Islam. Depuis 15 ans, on les a vu épouser toutes causes pro-américaines, y compris la deuxième guerre contre l'Irak.
Logiquement, André Glucksmann annonce aujourd'hui son ralliement à Nicolas Sarkozy, au nom d'un humanisme et d'une générosité qu'il dénie à la gauche : “Marinant dans son narcissisme, elle se trouve fort dépourvue, lorsque
Nicolas Sarkozy, prenant à contre-pied son camp, se réclame des
révoltés et des opprimés...“ Là, il exagère un peu, non ? Vous trouvez pas ?
Apparemment, il ne sera pas le seul de la bande à manier l'hyperbole pour promouvoir le ministre de l'Intérieur.
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