« Nous devons éradiquer la pauvreté, non par simple altruisme, mais
parce que nos destins sont liés. Nous devons œuvrer pour notre
prospérité commune. Il faudrait par exemple que les indiens
viennent en Europe acheter des frigidaires. Mais aujourd’hui, la
majorité d’entre eux n’a pas l’électricité. »
Quelques instants plus tard, samedi dernier, poursuivant son adresse aux jeunes à Strasbourg, Barrack Obama, renchérit en affirmant, en substance, qu'aider au développement, c'est créer des consommateurs qui achèteront nos produits.
Cela semble marqué au coin du bon sens économique. Eradiquer la pauvreté, bien sûr... Equiper les indiens de frigidaires, évidemment... C'est presque aussi incontestable que de la science exacte. Mais c'est précisément ce qu'on appelle un discours idéologique. C'est-à-dire contestable.
N'y a-t-il pas, en effet, d'autres perspectives d'évolution pour les pays en développement que le modèle économique proposé ou imposé par l'Occident depuis des décennies ? N'y a-t-il pas d'autre aspiration pour l'humanité que celle contenue dans un destin de consommateur ? Le commerce, le libre-échange et le consumérisme sont-ils le stade ultime de l'évolution humaine ? Est-ce cela, la Nouvelle Frontière que propose Barrack Obama ?
Au moment même où le système économique et financier, fondé sur ces certitudes, connait des turbulences qui pourraient lui être fatales, le président des Etats-Unis, tout en proclamant de bonnes intentions -son rêve d'un monde sans armes nucléaires- se révèle pour ce qu'il est, un réformateur de façade et un bon soldat du système en vigueur...
... Je rentre d'Inde. Qu'y ai-je vu ? Une société en plein développement à l'occidentale. En 20 ans, une bourgeoisie locale a émergé, forte de 200 à 300 millions de personnes. Elle est éduquée, formée, prospère.
Tout est donc le pour le mieux ? Pas tout à fait.
A ses côtés, vit une population d'environ un milliard de personnes, dont le revenu mensuel moyen est inférieur à 30 Euros. Elle a aujourd'hui accès aux mêmes outils de communication que nous : mobile, télévision -individuelle ou communautaire- qui lui “vend“, par infos, fictions et pub interposées, un modèle de vie occidentalisée, qui lui reste interdit.
Conséquence ? Le lien social -certes contestable, si l'on ne croit pas à la mythologie des 3.500 dieux hindouistes ou si l'on émet réserves et critiques sur le système des castes- se défait. La solidarité tribale, clanique ou familiale se délite dans les nouvelles générations, obnubilées par le mirage consumériste. Au bout de cette évolution, ce n'est pas le paradis consumériste qui pointe, c'est la destruction d'un monde fragile et insatisfaisant, le désordre, la corruption et la violence sociale.
Cela se voit partout. Prenez Madras, devenue Chennai. La 4e ville de l'Inde comptait 4,2 millions d'habitants en 2001. Il y en a peut-être deux à trois fois plus aujourd'hui, chassés des campagnes par la misère et par les pratiques de l'agriculture moderne. La ville se développe monstrueusement, sans aucun plan d'urbanisme, sans aucun plan de circulation, sans aucun plan d'assainissement. Elle ne compte pratiquement plus aucun espace public, aucun parc, tout ayant été vendu en petites parcelles pour que chacun y érige, qui son building, qui sa masure. L'argent dévore tout, à commencer par l'intérêt général.
Est-ce monde-là, un monde sans citoyens mais gros de consommateurs frustrés, d'hommes rendus perpétuellement gourmands et jamais assouvis, un monde obsédé par le veau d'or, un monde dépouillé de ses traditions, de sa culture, de son lien social, est-ce monde-là qu'Obama et ses semblables rêvent pour nous ? Oui. Ils n'en imaginant pas d'autres.
Est-ce monde-là que veulent les peuples ? Si on leur donnait vraiment le choix, en connaissance de cause, ce serait non.
(ci-dessus un encart publié le 14 mars dernier par le Times of India, dans le cadre d'une campagne contre la corruption en politique)
"créer des consommateurs qui achèteront nos produits" : il y a là un aspect "cycle de la vie", José, comme une constante biologique qui fait qu'une forêt primaire, dans des conditions normales, se trouve en équilibre.
Qui fait aussi, si l'on prend la prudence de remplacer "acheter" par "échanger" (quelle que soit la monnaie utilisée pour fluidifier l'échange), qu'une société fonctionne correctement : chacun produit et fournit l'autre à la mesure de son talent.
Là où le bât blesse c'est lorsque le cycle perd la régularité qu'il devrait avoir, celle d'un écoulement sans boursouflures, et qu'il s'enfle d'un côté ou d'un autre.
J'ai comme l'impression que le cycle, le biologique comme le cycle qui serait à l'image d'une société en équilibre, a viscéralement horreur des excès.
Horreur autant de la richesse trop marquée que de ce qui tendrait vers la pauvreté.
En somme je n'aurais rien contre "créer des consommateurs qui achèteront nos produits" si nous sommes tous aussi créateurs qu'acheteurs, ce qui pourrait garantir l'équilibre matériel de la vie de chacun.
Tous libérés tant de l'urgence que nécessite la survie que de l'envie de se différencier pas le "plus" et le "mieux" nous pourrions faire renaître "le lien" qui se délite : quel impossible rêve !!!
Rédigé par : jcm | 06 avril 2009 à 22:16
José, les peuples veulent-ils vraiment savoir, c'est-à-dire tirer les conséquences de leur connaissance de l'état du monde ?
Rédigé par : Francis | 07 avril 2009 à 14:54
@jcm : OUI sauf : Rêve impossible, non çà a commencé depuis la nuit des temps, c'est Tousss l'impossible, autorégulation seule solution, au sapiens surdoués de la nature qu'il pâture.
Rédigé par : luluberlu | 09 avril 2009 à 11:44
... dans le prêt... non dans le pré... le bonheur
Rédigé par : kristouille | 16 avril 2009 à 22:58