Prenez deux personnes ou deux groupes, soudainement confrontés à une sérieuse dégradation de leur relation ou à un accident dont ils sont acteurs. Comment cela se passe-t-il généralement ?
On cherche d'abord à colmater les brèches béantes, à éteindre le feu, à sauver les plus menacés, à calmer le jeu : C'est le temps de l'instinct de survie, de la réaction. Ce n'est pas le temps de la relance.
Vient alors une deuxième phase, celle où l'on cherche à prendre la mesure du différend ou de la crise, à en comprendre les causes, à en déterminer éventuellement les responsables, à lui chercher des solutions. C'est le temps de la réflexion. Ce n'est pas le temps de la relance.
Enfin, vient le temps de l'action, celui où l'on prend les mesures pour intervenir sur le fond, sur les causes. C'est le temps de la relance.
Ces trois phases peuvent être très rapprochées dans le temps, voire quasiment simultanées, surtout si l'on s'est servi de son cerveau avant la crise et qu'on l'a vue venir.
Dans le cas qui nous occupe, il est à peu près clair que ni hommes politiques, ni financiers, ni économistes, ni experts de tout poil ne se sont exagérément servis de leur cerveau avant la faillite de Lehman Brothers, en Septembre dernier. Et depuis, guère plus.
Car depuis, c'est la panique à tous les étages. Jour après jour, on éteint des feux comme on peut, on a même montré du doigt quelques incendiaires, mais on se garde bien de prévenir la naissance d'autres foyers.
Les causes profondes de l'incendie ? C'est la faute à pas de chance. La scandaleuse échelle des revenus ? Pas touche, quelques coupes dans les bonus trop voyants suffiront. La part croissante de la valeur ajoutée accordée aux actionnaires, au détriment des salariés et de l'investissement ? T'occupe, c'est pas vrai. Les paradis fiscaux ? Laisse tomber, c'est un enfer. La folie des taux de profit à 15 ou 20% ? Ben quoi, tu te crois en URSS ? L'absence de régulation de la spéculation financière ? On s'en occupe, va jouer. Les distorsions de la mondialisation et de la division internationale du travail ? Il est minuit, t'es pas couché ? La préservation de l'environnement comme axe prioritaire de relance ? On fait c'qu'on pleut. Etc, etc.
Plus zappeurs que pompiers, nos gouvernements parent au plus pressé, s'occupent de l'urgent en claquant de l'argent et négligent ou masquent l'important.
En France, notre zappeur pompier en chef jette, en paroles, par les fenêtres, les milliards d'Euros que nous n'avons pas. Du saupoudrage aussi ruineux qu'insuffisant, de la cosmétique de carnaval pour amuser la galerie, de la médecine placebo pour réveiller les morts.
Qu'on en juge :
• 360 milliards de garantie pour les banques (sans contrepartie sérieuse),
• 22 milliards pour la trésorerie des PME (tu l'as vu, elles non plus),
• 26 milliards pour un premier plan de relance (dont les 1.000 mesures relèvent du facteur Cheval, de Prévert ou du catalogue des objets introuvables de Carelmann ; outre qu'elles témoignent d'arbitrages contestables -la route plus que le rail-, elles sont une collection d'engagements anciens disparates, non tenus jusqu'ici, plutôt qu'elles ne présentent une vision cohérente ou n'anticipent les besoins de l'économie du futur),
• 8 milliards de taxe pro pour les entreprises (les collectivités territoriales tirent déjà la langue, ça va les aider de leur retirer des ressources),
• 6 milliards pour l'industrie automobile,
• et, aujourd'hui, 2,6 milliards (ramenés à une population de 64 millions, ça nous fait 40,63 € par personne), pour désamorcer la “grogne“ sociale et calmer la classe moyenne maritime (on ne dit plus inférieure :).
J'en oublie sûrement. Si l'on excepte le sauvetage (provisoire ?) des banques, tout ça fait beaucoup d'argent pour pas grand-chose. Des cautères sur une jambe de bois. Car, faute de remise en cause sérieuse des mécaniques qui nous ont conduit là, faute d'une véritable réflexion sur les causes profondes de la faillite du système, faute d'une pensée structurante, de pédagogie et d'actions cohérentes, pendant le lâcher de milliards, la crise continue, inexorable. Fonçons dans le mur, c'est la fête.
Il n'y aura pas de plan de relance qui tienne sans réformes en profondeur. Et par réformes, on n'entend pas les contre-réformes que Sarkozy veut poursuivre envers et contre tout, à contretemps, au nom du libéralisme défunt. Pas celles non plus du PS, au nom d'on ne sait quoi.
Les vrais plans de relance viendront d'ici un an, si tout va bien (c'est-à-dire si les G7 et autres G20 sont touchés par la grâce, ce qui reste très improbable et s'attaquent aux racines du mal), dans deux à cinq ans, si les choses suivent leur cours actuel, c'est-à-dire s'aggravent encore.
Mais avec quel argent ? Sans doute avec celui qu'on devra créer après avoir conclu un moratoire sur toutes les dettes actuelles des Etats. En d'autres termes, après leur faillite.
Vu les conséquences qu'on peut imaginer dans les relations internationales, l'industrie de l'armement aurait de beaux jours devant elle. Elle serait, une fois de plus, le fer de lance de la relance.
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