Ce devait être la rupture, la modernisation, l’ouverture, que dis-je, la révolution ! Et la majorité des français d’applaudir à deux mains et les médias de bramer à l’unisson. On allait voir ce qu’on allait voir !
Eh bien, après quatre mois, on commence à voir et il n’y a guère à s’extasier. Car dans tous ses compartiments, l’action gouvernementale, dans sa forme, ses orientations, ses premiers choix, ses décisions ou, en creux, leur absence, est, pour le moins, contestable.
Un mot d’abord sur la forme de l’action de l’exécutif. Elle se caractérise par trois mots : pouvoir personnel, contournement des institutions, zapping permanent.
Le Président concentre tous les pouvoirs. Le gouvernement ne “conduit“ plus la politique de la Nation. Les ministres, y compris le premier d’entre eux, –élus, pour la plupart- sont tenus en laisse courte par un “shadow cabinet“, composé de conseillers personnels, inspiré par Henri Guaino et conduit par Claude Guéant.
Parallèlement, à la fois dans le souci louable de mobiliser les énergies et les talents d’où qu’ils viennent, et dans celui, plutôt malin, de pointer les contradictions de l’opposition, de l’affaiblir, voire de la faire disparaître dans sa forme actuelle, et de gagner, ainsi, quelques précieuses années de tranquillité, le Président a distribué rôles, fonctions et prébendes à un nombre impressionnant de ténors et de vieilles divas socialistes, qui trouvent là une dernière occasion de servir ou de se servir.
Mais la multiplication des commissions non-parlementaires (sur les institutions, la croissance, etc), outre qu’on peut se demander si elle a une vocation autre que celle de neutraliser les personnalités et les experts qui les composent et d’enterrer les questions dont elles sont saisies, a un effet évident : celui d’abaisser un peu plus le Parlement, dont ce serait, après tout, le rôle, de participer en tant que tel, sinon de conduire la réflexion sur les réformes.
Le gouvernement contourné, le Parlement ignoré, la Justice fragilisée, les médias domestiqués, c’est l’ensemble des Institutions légales ou réelles qui est ainsi mis à mal au profit d’un pouvoir qu’on hésite à qualifier, entre organisation médiévale, résurgence de monarchie absolue ou dictature bonapartiste, dans lesquelles tous sont les hommes liges du seigneur ou courtisans, honorés ou pensionnés à raison de leur soumission.
Quoiqu’il en soit, la voie étant dégagée, le Président a les mains libres pour agir. Agir ? A voir. Parler, pour sûr. La parole présidentielle est un flot, un torrent intarissable. Le Président s’exprime sur tout, tout le temps, souvent avec talent. Avec deux caractéristiques : l’incantation et le zapping. Si un problème peut en cacher un autre, une question chasse l’autre : un discours revigorant et hop, sujet suivant !
D’effet de manche en effet d’annonce, le Président aborde tous les rivages et ne touche jamais terre. Il pointe tous les sujets, en fait des objets de discours, n’hésite pas devant les à peu près ou les contradictions et passe aussitôt à autre chose. Sans grand souci apparent du résultat.
Cette brillante pratique du zapping qui, d’un jour l’autre, met les enseignants à la une pour supprimer le lendemain des postes dans l’éducation nationale, fustige le capitalisme financier pour faire des cadeaux fiscaux aux ménages les plus aisés, se dit libérale et agit en colbertiste, tient plus de l’art de l’embrouille que de la gestion de la complexité.
Au total, après quatre mois, dans la forme, Nicolas Sarkozy donne le sentiment de conduire une politique de la terre brûlée : j’avance, j’avance, je ne sais pas vers quoi, mais j’avance, en détruisant ou en neutralisant au passage tout ce qui pourrait m’empêcher d’avancer ; j’avance en occupant le terrain, en parlant sans discontinuer pour hypnotiser les uns, démobiliser les autres, mais j’avance. Une fois le terrain occupé, je l’abandonne à son triste sort, mais j’avance.
Avec un art consommé de la communication, il mène dans la forme une politique cosmétique, incantatoire, de campagne électorale permanente, de bonimenteur, de l’effet d’annonce non suivi d’effet, comme on le vérifiera dans le prochain post, qui passera en revue quatre mois d’action gouvernementale, secteur par secteur.
Un bon billet qui mériterait une republication sur LMC!
Rédigé par : Le Monolecte | 09 septembre 2007 à 11:48
Ok Agnès. Et merci :)
Rédigé par : José | 09 septembre 2007 à 12:46
sur l' "art consommé de la communication", on relève des aspects de manipulation des émotions et pulsions pour masquer les béances de la réflexion, assez symptomatiques et effrayantes.
cf. ce billet ( http://dinersroom.free.fr/index.php?2007/09/06/627 ) de jules de diner's room, analysant une phrase de martinon, le porte-parole de l'élysée, qui fout les boules :
extrait :
Mais je dois avouer avoir dû retenir mes bras de tomber devant le propos tenu par David Martinon, porte-parole de l'Elysée :
"Sur les crimes sexuels, on a avancé au fur et à mesure. Ce qui est terrible, c’est qu’on soit obligé d’attendre ce genre de drames pour faire avancer les choses."
Comment cela "obligé d'attendre" ?"
eh ouais, ça laisse à penser...
Rédigé par : bituur esztreym | 09 septembre 2007 à 13:08
"j’avance, j’avance, je ne sais pas vers quoi, mais j’avance" : c'est très exactement l'une des conditions de survie des mouvements totalitaires, selon H. Arendt... qu'il faut relire.
Rédigé par : Inquietus | 09 septembre 2007 à 14:11
Inquietus, le totalitarisme est un concept fumeux, sévèrement critiqué par tous les historiens sérieux.
Et Arendt est (peut-être) une philosophe, mais définitivement pas une historienne.
Rédigé par : patrice | 09 septembre 2007 à 14:46
Bonjour ,
A ce petit jeu à force de laminer la gauche et
par l'action ( plutôt le néant ) du gouvernement la droite va gagner en discrédit :il ne va rester de la place que pour les partis de l'extrème pour 2012 , le résultat risque donc
de ne pas être très reluisant sinon bien pire.
Merci Nico !!!
Rédigé par : Dominique | 09 septembre 2007 à 15:17
oui un bon billet, mais ne faut-il pas rajouter... Que ce sont des membres du plus grand parti d'opposition (en dehors des ralliés et hypnotisés)qui adressent au pouvoir ou à leurs petits camarades des méssages d'approbation, de souhait de faire un bout de chemin, des conseils éclairés( les derniers en date sont de VEDRINE). Comment avons nous pu croire (même un instant) à la capacité de ces gens là, à être des défenseurs de valeurs de gauche? Mystère....
Rédigé par : got michel | 09 septembre 2007 à 18:18
J'suis d'accord avec M'dame Agnès.
Rédigé par : Fred., de L. | 09 septembre 2007 à 18:19
@patrice
> Inquietus, le totalitarisme est un concept fumeux,
> sévèrement critiqué par tous les historiens sérieux.
Hem, Patrice, tu as peut-être des références à nous donner à ce sujet ?
Parce qu'en attendant, le "concept fumeux" a fait plusieurs millions de morts au siècle dernier. Et ça, seuls les historiens foutraques ou négationnistes le contestent.
Rédigé par : Veig | 10 septembre 2007 à 09:50
@Veig @patrice
>totalitarisme : concept fumeux
je crois qu'il y a tout de même quelquechose d'intéressant là-dedans. Pour comprendre la m.... dans laquelle on est.
Le totalitarisme a certes beaucoup fait de dégâts et continue encore aujourd'hui et pourtant, ses contours ne sont pas nets, c'est un concept difficile à définir.
Dire aujourd'hui que la France est une dictature paraît discutable, pourtant il n'existe plus de contre-pouvoir. A chaque fois que l'on va commenter les faits et gestes divers de sarko en criant à la dictature, on va se fourvoyer et les supporters du pouvoir vont applaudir. Car c'est peut-être un nouveau concept fumeux qui décrirait le mieux notre situation.
Peut-être qu'avec le recul dans cent ans on nommera cette période funeste avec un mot qui n'existe pas encore, que nous n'avons pas encore inventé, faute de recul suffisant.
Nous avons mis beaucoup d'affect dans le mot dictature (parler de totalitarisme paraît plus adapté car plus général mais c'est un peu comme testicule, ça fait un peu rapport de police), et celui-ci semble aujourd'hui trop usé. Il n'émeut plus personne, en fait. On voudrait interpeller, susciter l'émotion grâce à ce mot mais cela ne marche plus.
Il apparaît peut-être que nous ne savons pas combattre ce système car nous ne sommes pas encore en mesure de le définir.
Ceci n'est bien sûr qu'un point de vue parfaitement discutable.
Rédigé par : paul pote | 10 septembre 2007 à 13:40
Souvenez-vous de "1984". On y trouvait des choses dans ce gout la: "La Guerre c'est la paix, la paix c'est la guerre".
Voila le petit jeu auquel joue notre Président. Il met son auditaurt dans un état de confusion mentale. C'est une technique de manipulation mentale pernicieuse. Qui permet de créer un état de confusion auprès de celui qui écoute. Une fois la confusion créée, n'est perçue que la forme, la prosodie ... Et la dessus, notre cher président est bardé d'une assurance incroyable. Et n'oublions pas que les médias maintream agissent comme un porte-voix pour retransmettre ce discours schyzogène ... Ce qui laisse peu de marges aux écoutants stressés, pressés... pour donner du sens à ce qui est dit par notre cher Président.
Je me demande si cette technique est voulue consciemment renforcée ? Si oui, c'est d'une perversité incroyable. Si non, c'est juste sa nature qui est disons "malheureuse"
Rédigé par : Lolo | 10 septembre 2007 à 16:49
Cette brillante pratique du zapping (...) tient plus de l’art de l’embrouille que de la gestion de la complexité.
J'aime la phrase, juste et concise ! :-)
Rédigé par : Boréale | 11 septembre 2007 à 16:39
Le travail principal de Arendt est d'avoir distingué le totalitarisme (qui repose sur l'approbation de ce qu'elle appelle les masses, et une surveillance policière généralisée) et la dictature (qui repose sur une oppression militaire, type Pinochet). De ce point de vue, 1984 décrit plutôt un système totalitaire qu'une didacture.
Pour survivre, le système totalitaire doit identifier des ennemis, et les rendre responsables de ce qui va mal (les contre-révolutionnaires, les juifs, Oceania dans 1984). Sarko utilise pas mal ce truc (les fonctionnaires, les héritiers de 68, les chomeurs), mais la gauche en son temps a fait pareil (en 36 les 200 familles, mais à l'époque l'URSS était stalinienne ce qui a pu influencer les discours politiques en France).
Ce qui est compliqué, à mon avis, c'est qu'une idéologie dominante (ce qui existe toujours) peut dériver vers une idéologie totalitaire assez doucement. En plus, une idéologie dominante apparait nécessairement comme totalitaire à quelqu'un qui ne la partage pas.
Rédigé par : niamreg | 12 septembre 2007 à 13:19