Je reproduis ici une tribune de Corinne Lepage, parue hier dans Les Echos et intitulée “Le développement durable, seule réponse aux trois crises de l'été“. Autant dire que je suis plutôt d'accord avec ce qu'elle écrit, ce qui ne devrait pas étonner les lecteurs de ce blog.
Deux remarques cependant :
• primo : il va falloir lancer un concours de “naming“, parce que “développement durable“ est décidément une expression qui, d'une part n'est pas formellement très heureuse, d'autre part, ne décrit pas réellement ce qu'on y met et, d'une troisième part, est déjà largement récupérée et détournée de son sens par toutes sortes de gens, d'entreprises et d'institutions pas forcément bien intentionnées.
• deuxio : l'analyse de Corinne Lepage, ou plutôt ses implications, ne me semblent pas forcément “MoDémiques“ ni centristes. Elle mériterait d'être reprise et développée ailleurs. A droite, pourquoi pas, à gauche, sûrement.
Le développement durable, seule réponse aux trois crises de l'été
La hausse du prix des matières premières agricoles, la controverse sur les conséquences en termes de santé et de pollution de la croissance chinoise, la crise financière liée aux crédits hypothécaires à risque américains (dont les crédits immobiliers) dite crise du « subprime », constituent les trois événements phares de l'été. Ils illustrent trois facettes du caractère non soutenable des orientations économiques et financières planétaires qui refusent de sortir d'un court-termisme suicidaire.
La hausse des prix agricoles [NDLR - le cours du blé a dépassé brièvement 7,54 dollars le boisseau (environ 27 kilogrammes) pour livraison en décembre, jeudi 23 août, à Chicago (Etats-Unis). Le précédent record remonte à 1996 et était de 7,50 dollars.] vient de trois facteurs, tous d'ordre écologique. Elle résulte d'abord des conséquences du changement climatique sur les récoltes puisque que le stock n'a jamais été aussi bas. Elle est également liée au développement massif des biocarburants, qui, au Brésil et aux Etats-Unis, pousse les céréaliers à adresser à la filière énergétique, beaucoup plus rémunératrice, une quantité croissante de leur production. De ce fait, des aires qui étaient antérieurement affectées à un usage alimentaire ou occupées, comme au Brésil, par la forêt primaire sont désormais dédiées à un usage énergétique. Troisième raison : la demande alimentaire mondiale progresse, en particulier en Chine, alors que la production céréalière se réduit. Ces évolutions sont durables alors que la politique adoptée ne l'est manifestement pas. L'investissements massif dans des biocarburants de la première génération fait fi du fait que la déforestation représente aujourd'hui 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Il est aberrant de déforester pour planter afin de produire des biocarburants destinés à lutter contre l'effet de serre. Cette politique ignore également les conséquences à bref délai de la réduction massive des disponibilités alimentaires de la planète et donc les conséquences en termes humains, économiques et géostratégiques de l'organisation planifiée d'une hausse des prix et d'une baisse de la production.
Second sujet d'actualité : les revers de la croissance chinoise. Dans un rapport récent, la Banque mondiale chiffre à 750.000 le nombre de morts prématurés en Chine du fait de la pollution et à près de 4 % le montant du PIB absorbé par la destruction des ressources. Il ne s'agit pas d'incriminer la Chine mais de prendre définitivement conscience du fait que nos instruments de mesure actuels du progrès économique sont devenus obsolètes. Ils n'intègrent pas la consommation des ressources naturelles renouvelables (utilisées bien au-delà de leur renouvellement) et a fortiori non renouvelables. Ils ne tiennent pas compte non plus des rejets de déchets et des polluants qui empoisonnent l'environnement et les humains. Or ces coûts deviennent de plus en plus importants
La crise financière mondiale trouve, quant à elle, sa source dans la volonté d'assurer une rentabilité immédiate élevée aux investisseurs institutionnels et aux fonds de retraite en contrepartie de niveaux de risques financiers élevés de moyen terme. Elle s'explique aussi par un déficit croissant de l'épargne américaine, déficit financé par le reste du monde, et principalement le Japon et la Chine, aujourd'hui. L'instabilité des places financières et du système bancaire international témoigne des ravages du court-termisme, les injections temporaires de liquidité exceptionnellement élevées menées par la BCE et de la Fed ces jours derniers ayant pour but d'éviter un écroulement brutal des prix des actifs financiers.
A ces trois phénomènes, une réponse commune doit être apportée. C'est du reste la seule réponse possible : faire de la soutenabilité, autrement dit développer une politique capable de s'intégrer dans le moyen et le long terme, sans conséquence irréversible ou grave sur l'environnement naturel et sur les hommes. Ne nous trompons pas. Il s'agit bien là d'une révolution dans la mesure où la soutenabilité implique un changement de paradigme : l'impact sur le moyen et le long terme doit devenir la pierre angulaire d'un choix, contrairement au bénéfice de court terme qui commande les arbitrages aujourd'hui.
Nous devons apprendre que les ressources naturelles ont un coût, que ce coût est élevé et doit être intégré dans les prix. Nous devons apprendre que le risque doit être supporté par celui qui le court et non par les collectivités publiques, a fortiori lorsque celui qui le court en dégage des profits alors qu'il en socialise le risque.
Nous devons apprendre que notre mode actuel de calcul du progrès économique est totalement faux puisqu'il fait l'impasse sur les coûts de ce progrès. Il ne comptabilise que les avantages en oubliant les inconvénients. La focalisation sur une croissance calculée sur le seul PIB nous entraîne dans une impasse avant de nous confronter à l'abîme.
Nous devons apprendre que le développement économique, y compris le développement industriel, se fera différemment en prenant appui sur les produits et services vitaux en ce début de XXIe siècle, c'est-à-dire les énergies renouvelables et toutes les nouvelles technologies respectueuses de l'environnement. A se focaliser sur les industries du XXe, au motif qu'elles restent aujourd'hui les grands employeurs, nous négligeons tout simplement de construire nos savoir-faire et donc nos emplois de demain.
Nous devons apprendre enfin qu'un choix, qu'il soit public ou privé, ne peut plus se faire sans que soit pris en compte les effets de court et de long terme, directs et indirects, et sans que les coûts s'externes soient internalisés. Pour essayer d'y parvenir, on pourrait imaginer la mise en place d'une autorité indépendante chargée de superviser l'utilisation des ressources et des rejets dans le cadre d'une comptabilité internationalisée ; l'instauration d'une mutualisation des risques par les activités fortement dépendantes de l'utilisation de ces ressources naturelles ou fortement émettrices de rejets entre les acteurs parties prenantes à ces activités.
Les crises que nous traversons doivent nous faire prendre conscience qu'il n'y a d'avenir pour l'économie que pour autant que l'économie devienne écologique. Seule une soutenabilité forte peut répondre à l'enjeu sans précédent auquel notre génération est confrontée : assurer la survie de l'humanité au sens physique comme au sens économique du terme.
Corinne Lepage (avocate, ancienne ministre de l'Environnement, fondatrice du Mouvement CAP 21)
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