Le post qui suit est un peu long et un peu technique. Veuillez m'en excuser. Mais il décrit succintement quelques-unes des structures de proximité qui gèrent votre vie quotidienne. A ce titre, il mérite une lecture attentive.
Regardez les huit cartes ci-dessous. Elles représentent, dans un Département métropolitain témoin (ce pourrait aussi bien être un autre, tous sont à la même enseigne) et, plus précisément, dans un tiers de ce département, quelques-unes des strates administratives, politiques ou contractuelles existantes.
Cette construction, ce maillage d'une rare complexité, s'est constitué par empilement de nouvelles strates, au fil des siècles et des années, dans un rythme emballé depuis une trentaine d'années, sans qu'on ne songe jamais à réformer, supprimer ou simplifier les dispositifs pré-existants.
Partons de deux structures territoriales anciennes : la Commune et le Département. La carte du Département figure en grisé sur chacune des huit cartes, celle de la Commune est de couleur rose.
Pour mémoire, il existe en Allemagne 13.000 communes, environ 8.000 en Italie ou en Espagne et 36.785 en France.
Subdivision du département, les arrondissements départementaux (créés par la loi du 28 pluviôse an VIII -17 février 1800) sont eux-mêmes subdivisés en cantons et en communes.
A la différence des régions, des départements et des communes, les arrondissements départementaux ne possèdent pas le statut de personne morale de droit public ; ils ne sont pas gérés par des personnes élues, mais désignées par la présidence de la République : l'administration d'un arrondissement est confiée à un sous-préfet qui assiste le préfet du département.
Un temps (sous la IIIe République), l'arrondissement a correspondu avec une circonscription législative, mais ce n'est plus le cas (il y a aujourd'hui 342 arrondissements et 577 députés). Dans l'exemple donné ici, la commune regroupe environ 3.800 habitants et l'arrondissement 40.664.
Les cantons (créés en 1790, en même temps que les départements) forment une circonscription judiciaire en tant que siège du tribunal de première instance.
Par ailleurs, ils fournissent principalement un maillage électoral ; aux élections cantonales, chaque canton élit la personne amenée à le représenter au conseil général du département (sauf à Paris).
En zone rurale, le chef-lieu de canton héberge fréquemment les principaux services administratifs (brigade de gendarmerie, etc.) communs à plusieurs communes.
Les communautés de communes, comme leur nom l'indique, regroupent des communes qui peuvent mettre en commun et mutualiser des projets d'équipements collectifs dépassant l'intérêt ou les moyens financiers de chacune. Elles devraient à terme constituer l'unité de base d'une future réorganisation territoriale.
Sur le territoire donné en exemple donné ici, la population des 9 communautés de communes reste peu importante : elle varie de 985 à 7650 habitants (en moyenne : 4518 ; une taille efficiente serait plutôt de l'ordre de 10 à 15.000 habitants).
Les Pays (petite région, Pays peut désigner un territoire de projet caractérisé par une cohésion géographique, économique, culturelle ou sociale ; le découpage et l'échelle des territoires de projet sont proches et parfois inspirés des pays traditionnels ou régions naturelles de France) ont été créés par la Loi Voynet de 1999 sur l'aménagement du territoire, qui réactualise la notion de pays traditionnel avec l'identification de pays comme territoire de projet.
Gérés par des associations Loi de 1901 dont les membres sont les communes et les représentants leurs élus, les pays ont pour objet l'accompagnement du développement économique, la structuration des activités touristiques, la labellisation des produits agricoles, la valorisation des ressources forestières, l'amélioration de l'offre de logement, la promotion de politiques culturelles de qualité, le développement des nouvelles technologies de l'information et de communication.
Les Syndicats Mixtes de Pays, créés dans les années 90, visent à une meilleure organisation du territoire. A ce titre, ils ont vocation à élaborer un projet de territoire prospectif, ayant une approche transversale et interdisciplinaire (plus de détails ici).
Par exemple : définition d'une politique globale de l'habitat, embellissement et animation des centres bourgs, développement de l'activité touristique, amélioration de l'environnement et du cadre de travail, etc.
Dans l'exemple donné ici, le Pays regroupe 171 communes, 15 cantons et quelques 82.000 habitants. Chaque Syndicat de Pays concerne entre 15.000 et 20.000 habitants.
En plus de ces multiples structures, il faut ajouter celle du Parc Naturel Régional, qui réunit, dans notre exemple 9 cantons et 79 communes, à cheval sur deux départements et deux régions.
Il est géré par un syndicat mixte de gestion, composé d'élus des communes adhérentes, des 2 conseils généraux et des 2 conseils régionaux.
Sa vocation, qui recoupe celle des Pays et celle des syndicats mixtes de pays est de mettre en valeur le massif forestier, de mettre en place une politique de la gestion de l'eau et des rivières, d'encourager l'action et l'animation culturelle, de favoriser un tourisme de qualité, de valoriser le patrimoine pour créer de nouvelles ressources et de nouveaux emplois.
La huitième et dernière carte résume l'aberration de l'ensemble du système : par la superposition des limites des découpages des sept premières cartes, elle trace les frontières invisibles que la République et les générations ont tissées, les unes après les autres, comme une toile d'araignée qui finit par paralyser ou, au mieux, ralentir et entraver toute action d'intérêt public.
A superposer ou à mettre bout à bout toutes ces structures -et l'on est loin d'être ici exhaustif-, parfois complémentaires, souvent concurrentes, on voit aisément que leur nombre, leurs vocations ou leurs compétences se recoupent, se recouvrent et, finalement, souvent, tendent à s'annuler, du fait de l'incohérence de leurs périmètres géographiques, de la dispersion des moyens et des ressources, sans compter les oppositions partisanes ou intra-partisanes et les compétitions de personnes.
Un tel système aboutit à :
• complexifier ce qui devrait rester simple,
• dévorer le temps (et donc l'argent) des élus et des fonctionnaires, saisis de réunionnite exécutive ou légale (conseils d'administration, d'orientation et autres assemblées générales), croulant sous des projets innombrables, éventuellement concentrés, pour certains -ce qui est humain- sur la survivance de leur pré-carré, fût-ce au détriment de l'intérêt général,
• démultiplier la charge administrative, particulièrement sensible et ingérable dans les petites collectivités,
• dévorer les budgets de fonctionnement (chacune des structures a sa propre “administration“, mobilise des fonctionnaires salariés
ou des élus dédommagés, occupe des lieux, génère des frais de
fonctionnement : au total, même si les hommes sont honnêtes et assez
modestement ou raisonnablement rémunérés, la complexité du
système est dispendieuse et encourage au gâchis),
• diviser les budgets d'investissement,
• empêcher toute vision globale (chaque organe voit midi à sa fenêtre et, assez souvent, collabore peu, mal ou pas du tout avec les autres),
• augmenter l'opacité du système (plusieurs de ces structures ont pour vocation le développement touristique, ce qui me concerne puisque je développe un petit complexe touristique, significatif pour le territoire : depuis 4 ans, contrairement au fisc qui m'adore, aucune des structures concernées n'a pris contact avec moi, soit pour s'informer, soit pour me conseiller, soit pour me faire participer à un projet quelconque :),
• et, finalement, paralyser l'action.
Tout cela mériterait d'être revu, corrigé, dynamisé et simplifié, non ? :)
Jolie stratigraphie !
Comme en géologie les strates supérieures pèsent sur celles du dessous...
On doit bien trouver des fossiles, là dedans ?
Rédigé par : jcm | 02 juin 2007 à 19:45
Et des archéologues amateurs qui cherchent un tombeau egyptien d'une valeur inestimable, inédite et inenarrable ;)
Rédigé par : sophie | 02 juin 2007 à 20:02
L'archéologie est très superficielle par rapport à la paléontologie, Sophie !
Jusqu'à ce que quelques subductions et sédimentations reportent cela aux tréfonds des âges... dans quelques dizaines de millions d'années !
A quoi ressembleront nos circonscriptions, pays, cantons ?
Rédigé par : jcm | 02 juin 2007 à 21:05
oui oui oui,Jcm, restons serieux, absolument, sans deroger, jamais. on n'est pas n'importe qui, non plus.
Rédigé par : sophie | 03 juin 2007 à 05:20
Désolé Sophie, j'avais eu l'impression d'un déphasage spatio-temporel !
"Pas n'importe qui"... j'ai trouvé quelques ammonites il y a quelques jours, elles ont franchi quelques millions d'années pour me parvenir.
Que restera-t-il de nous dans une ère géologique future ?
Essentiellement des morceaux d'inox et autres matériaux très stables, des moules internes de canettes de bière et autres ustensiles en plastique, et avec un peu de chance de très rares ossements...
Face à de tels fossiles, à celui d'une mine anti-personnel ou celui d'un obus, je crains bien qu'il soit déduit que nous étions de fieffés gougnafiers...
Rédigé par : jcm | 03 juin 2007 à 07:43
C'est très intéressant et très pertinent tout ce que tu nous dis là José. Je croyais bien connaître les structures administratives de la France. Je m'aperçois que j'ignorais le rôle des pays.Une question : est-ce qu'il y a des pays partout ou faut-il que cette entité se raccroche à une notion historique ou géographique?
On se demande comment tout cela peut marcher, et encore tu nous as épargné le rôle du département et de la région qui viennent compliquer encore un peu plus l'ensemble. Je viens de remplir ma déclaration d'impôts et j'ai eu la même impression. Comment des esprits cartésiens font-ils pour élaborer des systèmes aussi compliqués?
Rédigé par : Dang | 03 juin 2007 à 11:15
Belle démonstration à laquelle il convient d'ajouter, mais juste pour épaissir le maillage, bien sûr, les services déconcentrés de l'état, qui ne sont pas mal non plus. Et les lieux "lobbyistes" qui mélangent à loisir les casquettes des uns et des autres. Oui, il y a un sérieux ménage à faire. Mais par quel bout le prendre ?
Rédigé par : Didier | 03 juin 2007 à 11:33
@Dang : à l'origine, les Pays étaient censés se constituer autour d'une identité homogène (géographique, culturelle, économique, sociale) pré-existante et d'un projet d'avenir structurant : certains pays ont privilégié l'Histoire, d'autres la géographie, d'autres encore le présent ou l'avenir, ce qui donne des “frontières“ parfois artificielles sous certains de ces aspects.
En tout cas, il existe environ 4 pays par département. L'Aquitaine, par exemple, compte 5 départements et 23 pays ; la Bretagne, 4 départements et 21 pays.
Cette structure nouvelle reste peu connue des français, soit qu'elle n'a pas de ressources propres et donc peu de moyens d'action, soit, plus simplement, que sa “lisibilité“ dans le maquis politico-administratif actuel et sa légitimité restent en question.
@Dang et Didier : effectivement, j'ai volontairement zappé département, région, administration centrale et Union Européenne, qui, chacune, apportent leur pierre à ce maillage insensé.
Didier, tu as raison d'évoquer les services déconcentrés de l'Etat (DDE, DRAC, Agences de tout poil, territoriales ou transversales -il semblerait, par exemple, qu'il y en aie plusieurs centaines sur le seul sujet de l'environnement-) : tous ces services, pour exister, entrent en concurrence avec les collectivités territoriales, rendent incroyablement complexes l'élaboration et la réalisation de toutes sortes de projets.
Faute d'une simplification drastique, je crois d'ailleurs qu'il va devenir difficile de recruter des élus de qualité dans les années qui viennent, tant la tâche des élus locaux, surtout dans les petites communes, est devenue Kafkaïenne.
Rédigé par : José | 03 juin 2007 à 12:37
J'ai posté il y a quelque temps un message plus rapide sur le même thème, et étendant l'analyse aux régions. Si ça t'intéresse : http://steckelburjer.blogspot.com/2007/03/redcoupages.html
Rédigé par : D'Steckelburjer | 03 juin 2007 à 16:46
@D'Steckelburjer : vu et très intéressant :)
Rédigé par : José | 03 juin 2007 à 19:31
@ José Ferré : belle démonstration et nullement extrêmiste, puisque apparemment vous avez de la chance : les communautés de communes coïncident généralement avec les cantons ?! bravo !
J'ai juste un doute sur la dernière conclusion (difficile de recruter des élus) : à titre d'hypothèse spéculative, plus la tâche est administrative, plus elle est centrée sur l'auto-gestion de la complexité du système, plus on trouverait des gens capables de le faire et de bonne volonté. Ce ne sont pas les mêmes profils que ceux qui feraient avancer les choses dans la vraie vie (et qui sont, eux, difficiles à trouver). Mais le système s'auto-entretient.
Rédigé par : FrédéricLN | 04 juin 2007 à 15:08
Bien vu et bien écrit.
Mais pourquoi cette organisation territoriale obsolète ?
Qu'est-ce-qui empêche que ça change ?
Rédigé par : traversieres | 02 octobre 2007 à 13:52
Je crois qu'une des raisons principales de la persistence de cet incroyable maillage est la préservation des intérêts particuliers de nombreux élus : mal rémunérés, surtout dans les petites unités territoriales, ils sont amenés, pour s'en sortir ou compenser financièrement leur travail ou leur temps de présence, à cumuler des responsabilités, présidences et vice-présidences rémunérées, dans des structures intermédiaires.
Toute réforme devra tenir compte de cette réalité et conduire à une rémunération acceptable des élus.
Cette augmentation des coûts sera plus que largement compensée par une productivité accrue des services publics et par les économies réalisées sur les postes-doublons qui se contredisent, s'annulent ou se font la guerre ; sur le temps et l'argent gaspillés en réunions inutiles ; sur la cession de locaux aujourd'hui dédiés à des usages publics.
Rédigé par : José | 02 octobre 2007 à 14:12