Regardez ces portraits officiels des six Présidents de la Ve République. Ils résument cinquante ans d’Histoire.
De Gaulle, souverain, est photographié par Jean-Marie Marcel, en plan large, dans la
bibliothèque de l’Elysée. Il porte le col cassé sous un habit orné de
deux épaulettes, discret rappel de son métier de soldat, arbore les
décorations de sa fonction. Sa main droite repose sur deux livres
reliés : il est entouré du savoir des livres, il se repose dessus. Il
sait. Il est calme, à l’aise, on pourrait même deviner l’esquisse d’un
sourire. Il regarde vers le futur (dans le sens de lecture, vers la
droite de la photo).
Pompidou est cadré plus serré par François Pages, plus proche. Son habit, fermé,
passerait pour un costume si l'on ne devinait des boutonnières dorées.
La bibliothèque est devenue un fond flouté. Le collier de la grand-croix de la Légion d'Honneur a remplacé celui de l'Ordre de la Libération. Sa main repose sur un
bureau. Grave, tendu, plus hiératique que son prédécesseur, cet homme
simple veut incarner l’autorité de l’Etat. C’est tout son problème :
quelle posture prendre après de Gaulle ? Il en oublie bizarrement de
regarder vers l’avenir.
Avec Valéry Giscard d'Estaing, on quitte le XIXe siècle pour entrer de plain-pied
dans la modernité. Oubliés livres, bibliothèque, dorures, emblèmes du
pouvoir. Oubliée la verticalité de la photo. Oublié l'habit, la
jaquette, vive le costume. Le jeune président pose, bronzé, souriant, de face, “les jieux
dans les jieux“, devant un décor abstrait, le symbole de la France,
beaucoup de blanc, peu de bleu et de rouge. C'est presque une photo de
reportage, un instantané (réalisé par Jacques-Henri Lartigue) pour une période qui se voudrait celle de la
jeunesse et du changement.
Après l'intermède Giscard, Mitterrand, lui, revient dans la
bibliothèque ; Gisèle Freund ne l'a pas saisi debout, prêt à décider, à agir, mais assis
sur un trône invisible : à la majesté gaullienne et pompidolienne, hiératique et debout, il préfère la majesté assise et souriante. Le plan est plus serré que celui de Pompidou,
nettement plus que celui de de Gaulle. Il tient Les Essais de Montaigne ouverts entre
ses mains et semble avoir été interrompu dans sa lecture. Il regarde
face à lui, dans une attitude sereine et rassurante. Après la
République des pères, celle du fils, voici la République des oncles :
on dirait que tonton va nous raconter une bonne histoire.
Le portrait de Chirac par Bettina Rheims reste le plus
incongru. On est en extérieur et le nouveau Président pose, sympathique et maladroit,
devant l'Elysée, menton haut comme un bourgeois satisfait de son nouveau
“Sam'suffit“, comme un cousin de province en visite ou un
touriste devant un monument étranger dont il voudrait garder le
souvenir pour ses vieux jours. Il est là et il n'est pas là, avec ses
mains, dont il ne sait quoi faire et qu'il cache donc dans son dos -les
mains, c'est ce qui sert à prendre, à montrer le chemin-. Il n'a pas
l'air d'y croire. A aucun moment. Ce qu'on a souvent vérifié par la suite.
Nicolas Sarkozy, c'est encore autre chose. Il renoue avec la tradition de la bibliothèque de l'Elysée. A hauteur de son visage bronzé, lissé, déridé, retouché, un livre posé de face rompt avec la série des tranches reliées : est-ce la Constitution, dont il est le gardien et dont l'écusson gravé lui fait comme une seconde oreille, très décollée ?
Il a une main cachée et l'autre apparente, pendante, la gauche. Il ne regarde ni le passé ni le futur, seulement l'objectif de Philippe Warrin, photographe “people“. Avec détermination, “du caractère“ comme on dit et un sourire à peine esquissé qui cache mal son impatience.
L'étonnant, dans ce portrait, bien que la lumière cuivrée d'une poursuite trace un cerclé sombre, dramatique, quasiment cinématographique (cette image a une dimension Hitchkokienne), autour de lui, c'est que Nicolas Sarkozy n'est ni seul ni même le “héros“ de la photo : c'est la taille impressionnante des deux drapeaux, français et européen, qui a dicté le cadrage le plus large (et le moins flatteur pour un homme de sa taille : il occupe 70% de la hauteur de la photo, contre 80 à 90% pour quatre de ses cinq prédécesseurs) de cette série de portraits.
Il y a quelque chose de phallique dans cette érection disproportionnée de tissus, dont on se demande si Nicolas Sarkozy en est le gardien-protecteur, s'il ne va pas les brandir comme des trophées après une victoire ou les lancer à la tête du photographe dans un élan sportif. Une image que l'on sent préméditée, construite froidement, volontairement conventionnelle, mais dont, détail par détail, le sens semble échapper au modèle comme au photographe.
PS - Kilroy signale en commentaire un débat sur la photo de Nicolas Sarkozy et des retouches apportées par des internautes. En voici une (à droite), plutôt heureuse, en regard de l'original (à gauche).
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