La lecture des programmes des candidats à la présidentielle est un exercice parfois distrayant, le plus souvent navrant.
Ces textes tiennent du concours Lépine, du catalogue de promesses intenables, de la collection indigeste de “mesures“ sans mesure ni démesure, destinées à flatter successivement toutes sortes de clientèles, à faire rêver le plus grand nombre, à court terme, sans trop déranger (les lobbies, le système, les gens, etc), sans, surtout, prendre la mesure des grands enjeux.
Et si on s'amusait un peu ? Et si un candidat à la prochaine présidentielle avait une vision, une véritable ambition, quelles pourraient-elles être ?
Le constat
2- le capital asservit le travail, dissociant la finance de l'économie réelle, pour mieux nourrir la fortune de quelques-uns, les retraites de beaucoup (qui, en plus, n'en verront sans doute pas la queue) et, pour l'essentiel un système totalitaire et désincarné,
3- la croissance, seule mécanique économique mise en œuvre globalement à ce jour, est une fuite en avant suicidaire qui tient lieu, à tort, de progrès,
4- la croissance démographique, faite de moins de mortalité infantile et d'allongement de la vie, annonce, à trente ans, une population globale vieillissante, une urbanisation et des flux migratoires incontrôlables,
5- l'épuisement progressif des ressources non renouvelables (eau, pétrole, etc) promet, dans le même temps, une révision totale des objectifs et des moyens de nos économies, qui ne se fera pas sans conflits et sans guerres,
6- les effets du cours actuel des choses supposent une nature
appauvrie, exsangue ou simplement invivable, du fait de la pollution,
du réchauffement et autres dérèglements climatiques.
Les grandes orientations à long terme
Dans ces conditions, toute action politique, quelle que soit sa sensibilité, devrait s'articuler autour de cinq axes :
1- Aller vers une redéfinition et une redistribution des strates du pouvoir politique, cohérente avec la taille de chaque enjeu, dotant chaque niveau de gouvernance des moyens correspondants à sa mission :
- Une gouvernance mondiale, sous une forme qui reste à définir, mais probablement pas celle d'un Etat supra-national, qui oscillerait en permanence entre deux dangers : celui d'être trop faible et celui d'être trop fort. Cette gouvernance mondiale serait exclusivement chargée de “questions d’intérêt général et global“ (maintien de la paix, gestion des ressources naturelles “stratégiques“, préservation de l’environnement, équilibre des échanges commerciaux, gestion des flux migratoires),
- Des gouvernances “locales“ (territoriales ou autres), au plus près de la vie quotidienne, des pratiques sociales, des traditions et de la culture des citoyens, là où ils se trouvent.
Communauté internationale, groupes de nations, nations ou régions, communes, réseaux non territoriaux, chacune de ces strates doit pouvoir contribuer à promouvoir l'exercice de la liberté de chacun et le bien-être de tous.
2- Aller vers un désarmement global, susceptible de faciliter le maintien de la paix et de dégager les ressources nécessaires à d'autres types d'actions.
3- Encadrer, limiter et contrôler les dérives et les effets pervers du capitalisme et de la course au profit financier, c'est-à-dire non lié à une valeur ajoutée par le travail.
4- Tendre vers l’égalité universelle des revenus.
5- Aller plutôt vers le Bien-Etre que vers le Plus-Avoir. Définir en conséquence des modèles et des objectifs de développement, non orientés vers la croissance tout azimut, économes en ressources naturelles, respectueux de l’environnement, des diversités géographiques, culturelles, des libertés, soucieux du long terme.
Compte tenu de ces orientations globales et de long terme,
que faire en France d’ici 2012 ?
1- Réformer l’Etat, donner à son action ses véritables dimensions, simplifier ses procédures et rendre plus économe et plus efficient son fonctionnement, ainsi que celui des collectivités territoriales et des organismes sociaux.
2- Reprendre l’initiative de la construction européenne, fût-ce sur une base plus limitée que celle des 27 et lui assigner, notamment, cinq objectifs :
- la conception d’un système institutionnel
démocratique ;
- la mutualisation et l’intégration des systèmes de
défense ;
- la mutualisation des efforts de recherche ;
- la mutualisation
des ressources naturelles ;
- la refonte et l’augmentation de son budget.
3- Conduire une politique extérieure ambitieuse, avec un objectif principal : bâtir ou rebâtir une communauté internationale, susceptible de faire face aux enjeux globaux énoncés ci-dessus.
Pour cela, réformer profondément et renforcer les institutions supra-nationales, en leur assignant des objectifs et les moyens correspondants sur des sujets comme le maintien de la paix, la préservation de l’environnement, l'équilibre des échanges commerciaux, la gestion et la juste répartition des ressources naturelles, la gestion des flux migratoires, le contrôle des flux financiers.
4- Initier une politique de grands travaux, avec quatre objectifs : réaliser des économies d’énergie, développer des énergies propres, réduire drastiquement les pollutions, “recoloniser“ le territoire pour une meilleure qualité de vie.
5- Accompagner cette politique par un effort accru de recherche, d’éducation, de formation, financé par une réorientation des crédits publics (diminution progressive et constante des crédits militaires, affectation des taxes sur les carburants, etc).
6- Promouvoir, notamment par la création et l'adoption de nouveaux indices, un modèle de développement, moins tourné vers la croissance quantitative et plus orienté vers la qualité de vie.
7- S’attaquer aux dérives du capitalisme financier, en limitant la course aux profits des entreprises et en inversant le déséquilibre croissant entre revenus du travail et revenus du capital.
8- Limiter l’amplitude de l’échelle des revenus (par exemple : de 1 à 3 pour une entreprise artisanale de 5 personnes, de 1 à 5 pour une petite entreprise de 50 personnes, de 1 à 10 pour une entreprise moyenne de 150 personnes, de 1 à 100 au-delà de 1.500, sans effet de seuil).
Si le prochain gouvernement faisait déjà le quart de tout ça, il aurait bien mérité...
Ce texte est une refonte d'un texte intitulé “Demandez l'programme (3)“, précédemment publié ici (le 13 juin dernier) et dans Imagine 2012. On y a laissé les commentaires reçus sur la version précédente.
On s'y remet quand à Imagine ? car si on ne produit pas, c'est Ségo qui va être emmerdée pour ces allocutions :)
[cf: discourt de la semaine dernière, "les citoyens experts"]
Rédigé par : Nicolas | 13 juin 2006 à 14:47
josé président !
Rédigé par : le doc | 13 juin 2006 à 15:37
excellent !! ;-)
Rédigé par : sebasan | 13 juin 2006 à 22:15
Et vu comme les français ne sont pas vraiment tortueux ni têtes de lard, on assiste à un second tour José - José (Bové), tout le monde dans sa manif scandant "Jo - Sé - Président" (bis - ter - quar - repetita... ad libitum) ce qui, somme toute, montrerait le visage d'un pays très unanime...
Avec au moins le mérite de nous éviter la nicolasarkozification du pays !
Je propose un comité de soutien et que les Freemen s'activent sur les intentions de signatures (il en faut 500 ?).
C'est parti, José, on va voir du pays !
Je me vois déjà secrétaire d'état à la pêche au lancer...
Ah le conseil des ministres à Montagenélysée...
Rédigé par : jcm | 14 juin 2006 à 07:14
> Nico, “on“ ne se remet pas à “Imagine“, “on“ y est, non ? :)
> shanti > :))
> jcm, le doc : merci, peuple aimé, vos nombreux encouragements me vont droit au cœur ! Malheureusement, je dois vous quitter, j'ai un rendez-vous urgent dans une pépinière de palmiers... :))
> les autres : Sans commentaire, donc ! il est vrai que Politibuzz m'a répertorié “langue de pute un peu molle et réactionnaire“ : du coup, avec ce type de post, je ne dois plus être dans mon rôle !
Rédigé par : José, non | 14 juin 2006 à 10:37
Et bien, ça devait arriver, j'applaudis ! standing ovation, ola, et tout ça.
on aura mis le temps, mais je crois qu'on est en train d'arriver à quelque chose.
Pour ce qui est des candidats, il y en a quelques uns, des outsiders plus ou moins indépendants, qui n'ont quasiment pas de programme et pourraient venir faire leur marché ici, si on les aide un peu. ça fera toujours un peu de bruit en attendant l'entrée en lice des ténors.
(seule petite remarque histoire de peuafiner encore le gourbiche : dans le point 2 de ton "constat", tu peux en gros enlever "et les retraites de beaucoup". Les "beaucoup" en question ne les toucheront quasiment pas.
Et étonnament, tu peux presque enlever aussi "les fortunes de quelques uns". Là encore, l'essentiel (95% environ) du capital des entreprises est aujourd'hui détenu par d'autres entreprises ! (etc, etc).
en gros, l'espèce humaine n'en voit presque plus la couleur.
Rédigé par : Casabaldi | 14 juin 2006 à 10:47
Et je reviens 10 secondes sur José Bové : s'il est effectivement candidat, si c'est effectivement comme il l'annonce une candidature "antilibérale, écologique, antiproductiviste et altermondialiste", et s'il est cohérent, alors il est fort probable que son programme soit grosso modo celui de ce post...
à suivre, de près.
Rédigé par : Casabaldi | 14 juin 2006 à 13:44
Merci Casabaldi.
La question est maintenant de compléter ça, de l'enrichir, de le répandre partout où c'est possible, d'aller allumer cette flamme chez les candidats déclarés ou potentiels, de faire que le débat prenne en compte une partie ou la totalité de ces idées...
Toutes les initiatives seront les bienvenues :)
Rédigé par : José | 14 juin 2006 à 14:13
toujours moi...
Il nous reste un vrai truc à résoudre :
en gros, ce programme est doté, lui, d'une vision, que je résumerai à chercher le "Bien Etre" plutôt que le "Plus Avoir".
Il est évident qu'un pays qui mettrait en place ce type de programme dans une économie capitaliste mondialisée va au suicide direct. (limitation du taux de profit par ex, ou de l'écart de revenu dans une entreprise).
Or nous ne sommes, je pense, pas "protectionniste". Il semble évident qu'il faut favoriser "l'échange entre les populations du monde" sous toutes ses formes.
Comment faire donc, pour mettre en oeuvre ses réformes au niveau local (un pays) sans se tirer immédiatement une balle ds le pied économique ?
Il y a plusieurs pistes à mon avis :
- rééquilibrer les "termes" de l'échange. Une façon bourrin de le faire serait, (si par exemple, on applique en France le principe pollueur/payeur, et qu'on intègre donc les couts de dépollution aux couts de production, les production française deviennent donc plus "chères" en comparaison que leurs concurrents). DOnc méthode bourrin : la taxe douanière. Chaque marchandise qui entre sur le territoire (elle a toujours le droit) se voit appliquer les mêmes conditions (environnementale, sociale, etc.) que les produit nationaux. On reste donc sur un truc juste et ouvert, mais en gros, on adapte le prix final du produit a des conditions de production "acceptables". Seul souci, ça reste une "taxe" et ça alourdit donc encore le rôle de l'Etat. Il y a donc forcément mieux à trouver.
Deuxième chose : il est évident qu'à long terme (et le plus vite possible en fait), tous les pays doivent chercher le "bien être" et arrêter la "croissance". Sinon ça foire et on revient à la première objection (c'est le plus bourrin qui gagne et écrase les autres). Il est donc indispensable de créer un "effet 1789". En gros, il FAUT que le truc se propage, en quelques années au plus, au reste de la planète sinon on est raides. Il faut donc se donner les moyens (diplomatiques mais pas uniquement) de redonner à la France ce rôle de "phare" et de propager cette nouvelle révolution (car c'est est une).
Voilà, désolé pour la longueur de la chose, mais ça me semble indispensable. C'est là que se situe la différence entre l'utopie et le projet réel.
Rédigé par : Casabaldi | 14 juin 2006 à 14:14
si la mise ne place de telles idées est une reussite, la propagation se fera rapidement en europe dans un premier temps avant d'atteindre d'autres continents;)
le terrain est bientot pret voir meme fertile enfin pour certaines d'entre elles....
Rédigé par : Fred | 14 juin 2006 à 16:03
@ Casabaldi >
...le "Bien Etre" plutôt que le "Plus Avoir" : sur le plan météo et si la tendance aux "températures au dessus des moyennes saisonnières" actuelle se maintient c'est le bien-être "d'antan" que nous chercherons bientôt, c'est à dire des températures plus clémentes mais surtout les effets économiques qu'elles permettaient.
Avec une évolution déjà discernable de la hausse des températures dans les rendements agricoles en baisse : nous sommes déjà sur ce point dans le "moins avoir" et le "être moins bien", avec une croissance négative.
Idem en ce qui concerne la pêche, avec la diminution forte et bien connue des stocks de très nombreuses espèces.
Idem pour le pétrole avec la diminution croissante des stocks, et si certains placent de l'espoir dans la transformation de gaz ou charbon en combustibles, il faut bien savoir que ce serait obtenir des équivalents en développant plus d'efforts que ce que nécessite le pétrole, donc des produits plus chers.
Enfin la croissance mondiale forte provoque la raréfaction d'un grand nombre de ressources, notamment minières... et l'augmentation galopante du prix des matières premières.
Tout ces indices signifient que nous pouvons de moins en moins espérer nous trouver dans une ère de "Plus Avoir" et que notre préoccupation à l'avenir risque de ressembler à la préservation d'un minimum de "Bien Etre" matériel (sans même évoquer un meilleur "vivre ensemble").
Erwin Chargaff : "...compare ... la dégradation de notre environnement et de nos sociétés à celle des macromolécules. «La dégradation d'une macromolécule ayant une structure spécifique et complexe se fait habituellement en un certain nombre d'étapes successives; les changements, presque imperceptibles au début, se multiplient de façon cumulative, jusqu'à l'effondrement, qui devient manifeste avec une soudaineté presque explosive.» "
Je ne sais comment créer un "effet 1789" en deux coups de cuiller à pot et un des ingrédients pour y parvenir sera peut-être de souligner à quel point changements climatiques et diminution des ressources pèsent déjà sur nos vies sans espoir que cette charge puisse diminuer mais avec la crainte que l'amplification de ces tendances puisse devenir très difficile à supporter.
Dès que nous avons clairement conscience de cela nous sommes contraints à réagir et alors se pose la question de l'efficacité de la réaction.
Soit on pense "autorégulation" des marchés, la baisse de nos rendements agricoles trouvera (peut-être) une solution avec la disparition d'un certain nombre d'agriculteurs et une nouvelle augmentation de la taille des exploitations (sans la moindre garantie que cela soit la source de progrès sociaux ou pour l'environnement, bien évidemment), soit on cherche des mesures volontaristes qui présenteraient plus d'avantages que l'autorégulation.
Provoquer un "effet 1789" pourrait peut-être passer aussi par la démonstration de la différence qu'il y aurait entre les effets de cette autorégulation et des mesures volontaristes bien pensées, même si elles "alourdissent" le rôle de l'état : d'un côté un certain chaos, notamment social, de l'autre des contraintes peut-être parfois fortes mais globalement bénéfiques.
"En gros, il FAUT que le truc se propage, en quelques années au plus, au reste de la planète sinon on est raides."
Pour que la propagation se fasse avec un "effet 1789" il faut 2 ingrédients : une forte lassitude (acompagnée du sentiment que les dégradations s'accroîtront) et l'espoir d'un "mieux" si chacun s'en mêle.
Faut trouver ce déclic... sans oublier que chacun s'en mêlera s'il pense y trouver un "bénéfice".
Et en général nous chiffrons ce bénéfice en argent : "rééquilibrer les "termes" de l'échange" doit donc présenter une balance positive pour la plupart.
Quelle équation pour y parvenir ?
Rédigé par : jcm | 15 juin 2006 à 08:02
vive la republication :)
re-excellent papier !
Rédigé par : Nicolas Voisin | 03 décembre 2006 à 18:31