Quel(s) visage(s) prendra le monde demain ? Face aux enjeux collectifs et globaux (environnement, raréfaction des matières premières, démographie et migrations massives, maîtrise des flux financiers...), y aura-t-il un élan collectif, puis une réponse globale ?
La dégénérescence actuelle des Etats nationaux face à une myriade de systèmes organisationnels publics (organisations internationales) ou privés (entreprises multinationales, banques, compagnies d'assurances, organisations financières apatrides, ONG, lobbies, religions, résistants “nationaux“, résistants anti-système, mafias, etc) est-elle fatale ?
Correspond-elle à de nouveaux contours de l'économie, tout comme la forme actuelle des Etats est née de l'essor de l'économie industrielle, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle ?
Peut-elle se régénérer dans la création d'un “Etat“ multinational ? Et quels en seraient les contours ?
Va-t-elle, à l'inverse, conduire à l'implosion de tous les systèmes d'organisation “légaux“ connus (et je précise bien, légaux et pas forcément légitimes) pour faire place à des systèmes d'organisation nouveaux, décentralisés, légitimés par des communautés territoriales (nationales, régionales, locales), des communautés d'affinité ou d'intérêt (corporatif, culturel, idéologique, économique, mafieux...) ?
Un récent commentaire de Casabaldi sur un post d'Imagine 2012 invite à la réflexion :
“Un certain nombre d'acteurs sont en train de créer, petit à petit, une économie parallèle, (voire un monde ou des mondes parallèles) dont il existe déjà plus que des "signes".
“Cette économie n'est plus "capitaliste" au sens où elle ne rémunère plus le capital. De manière très schématique, on y trouve tout ce qui est souvent suivi par l'adjectif "libre" :
- logiciel libre
- semences libres
- media libres
“Dans une certaine mesure, la galaxie "bio" (bouffe, fringues, produits d'entretien, cosmétiques, etc.) et certains projets bancaires en font aussi partie.
“Ces mondes s'organisent en réseau, c'est à dire à l'extrême inverse d'un "Etat universel".
Il n'y a pas besoin de ce type de monstre, directement échappé de 1984 et autres "meilleurs des mondes".
“La solution est, je crois, dans les individus est dans les liens qu'ils tissent entre eux. Pas dans la centralisation étatique, qu'elle soit capitaliste, fasciste ou communiste.“
Le refus de la marchandisation absolue est patent dans ce texte. Mais ce refus est-il nouveau et annonciateur d'un système “global“ de liberté et d'initiative individuelle, sans capital et peut-être sans argent ? Ou est-il l'héritier, en même temps que le reliquat, la “résistance“ à mourir, sans aucun doute légitime, d'un monde ancien ?
Est-ce un élan neuf, la longue queue du passé ou la prise de conscience que la période industrielle (et les systèmes d'organisation politique qui l'accompagnent) n'aura été qu'une étape ou une parenthèse de l'Histoire ?
Les semences ont toujours été “libres“ jusqu'il y a peu. De même que le “droit d'auteur“ est une invention de la seconde moitié du XIXe siècle. Les médias, au sens de mass-media, sont de création récente et remontent, au mieux à Emile de Girardin, c'est-à-dire aux années 1830.
Aujourd'hui, Mozilla, Linux, kokopelli et tant d'autres redécouvrent une longue tradition et semblent (je dis “semblent“ car leur histoire est en cours et je ne préjuge pas de l'avenir que se donneront les uns ou les autres) remettre en cause les logiques capitalistes.
Sont-ils LA forme ou l'une des formes multiples que connaîtront les sociétés de l'avenir ? Difficile de le dire.
Le tout-Etat a implosé et laissé place au tout-marchand d'aujourd'hui. C'est sans doute ce “tout“ qui est en cause.
Rejeter le “tout-Etat“ semble légitime aujourd'hui. Jeter “tout“ l'Etat l'est sans doute moins : redessiner le périmètre d'un tissu de droits et de devoirs, fondés sur des valeurs et/ou des besoins partagés, à un moment M, par une communauté (locale, mondiale) ; faire en sorte qu'ils soient garantis par tous, représentés par une “puissance publique“, ne semble ni délirant, ni incompatible avec d'autres logiques.
Ce qui compte aujourd'hui (plus que des ravalements ou des changements de Constitution et plus que la mise à bas de toute régulation), c'est la redéfinition du périmètre de “l'intérêt général“ et celle des compétences du ou des organismes collectifs qui doivent le servir et au-delà duquel chaque communauté locale ou chaque individu doit pouvoir s'auto-réguler.
Que l'état du monde, jugé assez piteux par un certain nombre de personnes, suscite chez ces personnes des réactions, éveillent leur imagination qui les conduit à réaliser certaines expériences me semble très sain : nous ne sommes pas tous des moutons amorphes, des bestioles dociles.
Que ces expérimentations prennent des formes variées montre l'inventivité dans toute sa richesse mais je crains certains amalgames.
Je vois dans les logiciels libres plusieurs motivations à l'oeuvre qui ne vont pas nécessairement dans le sens d'un remodelage du panorama politique ou commercial du monde, au niveau de l'intention.
En d'autres termes peut-on mettre tout ce qui relève d'une sorte de bénévolat, tout ce qui permet la mise à la disposition des autres des biens ou services gratuits sous un étiquette "libre" qui serait en sa totalité une contestation "du système" et viserait à le remplacer ?
Je ne le crois pas.
Bien sûr il y a des organisations en réseau qui vont à l'encontre de certains intérêts et même de législations, mais cela ne signifie pas que tous ces réseaux partagent les mêmes objectifs.
Et tous ne tentent pas d'échapper à l'échange marchand : Kokopelli vend des graines, il y a ce l'échange monétaire dans ces réseaux.
Saisir tout cela en un même bloc pourrait constituer un abus.
Il me semble que tu mets le doigt, José, sur l'essentiel : "la redéfinition du périmètre de “l'intérêt général“ et celle des compétences du ou des organismes collectifs qui doivent le servir et au-delà duquel chaque communauté locale ou chaque individu doit pouvoir s'auto-réguler.".
De mon point de vue le refus de l'échange marchand monétisé ne peut être en lui-même un objectif à soutenir et l'invention de la monnaie est l'invention d'un lubrifiant qui simplifie les échanges entre humains : on peut aller vers un monde plus "juste" sans qu'il soit obligatoirement plus rêche.
Je ne connais pas d'exemple d'une société qui n'ait eu une structure permettant d'en définir les orientations : un gouvernement, qui peut prendre des formes très variées mais me semble indispensable.
Je ne suis pas d'accord avec Casabaldi quand il écrit : "Ces mondes s'organisent en réseau, c'est à dire à l'extrême inverse d'un "Etat universel". Il n'y a pas besoin de ce type de monstre, directement échappé de 1984 et autres "meilleurs des mondes". ".
Le fait que des réseaux se forment dans des configurations laissant une grande autonomie à chacun et qu'ils fonctionnent éventuellement très bien sur une longue durée ne signifie pas que des sociétés puissent adopter avec le même succès ce mode de fonctionnement.
Ce qui différencie ces réseaux et n'importe quelle société est l'étendue de compétence et de responsabilité qui caractérise l'un et l'autre, des étendues fort différentes.
Il y a là des niveaux de complexité totalement différents qui induisent des possibilités de fonctionnement probablement fort différentes.
Pour moi dans l'état actuel des choses obtenir que le monde fonctionne mieux passe par une sorte de restauration des structures existantes et leur remodelage progressif au gré des nécessité, donc une conservation d'un certain nombre de ces structures parmi lesquelles se trouve l'état.
Et je vois mal que les mentalités de nos concitoyens soient prêtes à ce qu'on leur annonce : il n'y a plus d'état, plus que des réseaux...
On en "recausera" dans quelques décennies ?
Rédigé par : jcm | 01 décembre 2006 à 19:36
Je pense plutôt que c'est l'Etat qui se passe d'intérêt général.
Redéfinir l'expression "intérêt général" va révéler quoi au juste ?
Sinon une bataille d'experts ou de linguistes qui va honorer leur égo.
Ce sera une masturbation intellectuelle, une de plus, comme on en a le secret en France.
Il y a tant d'urgences à traiter.
Rédigé par : JASMIN | 02 décembre 2006 à 19:07
Mais des urgences à traiter en fonction de quoi, de qui, Jasmin ???
Les traiter en fonction des marchands de canon ?
C'est bon, ils ont déjà la presse.
Pas non plus selon l'intérêt du cousin de la bécane à Jules, je crois qu'on ne l'a pas vu depuis si longtemps...
J'en resterai donc à l'intérêt général, et nous disposons de bonnes bases pour le définir : LA CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958.
Rédigé par : jcm | 02 décembre 2006 à 21:46