Je republie ici, pour lui donner plus de visibilité, un commentaire d'Etienne Chouard sur le post précédent, les blogs peuvent-ils changer la politique ?.
Il y pointe notamment, dans son dernier paragraphe, un danger qui menace actuellement internet : le succès du net met à l'épreuve les réseaux, dont les infrastructures et la bande passante doivent sans cesse être mises à niveau.
Les grands acteurs des télécommunications (Bell,
Vidéotron, MCI, France Telecom, BT, DT, etc) sont impliqués dans ces opérations et y réalisent des investissements énormes. Mais parallèlement, ils s'activent pour obtenir un retour sur investissement, qui aboutirait à la fin de la gratuité d'internet et, sans aucun doute, à une diminution de la diversité des sources d'information. Une lutte de lobbies sur laquelle il convient de rester très vigilants...
Bonjour,
Il me semble que les blogs rendent aux citoyens un peu du droit de parole publique, individuel et égal pour tous, que les Athéniens considéraient comme un pilier majeur de la démocratie : ce droit de parole libre, l’isegorie, était pour eux la protection décisive contre les voleurs de pouvoir (ceux qu’ils appelaient les « oligarques »).
Ils n’abusaient pas de ce droit de parole, d’ailleurs, car les Athéniens n’aimaient pas les sots et ceux qui osaient prendre la parole à l’Assemblée n’étaient, en fait, pas si nombreux ; la plupart écoutaient et votaient. Mais ce droit de parole universel rendait possible l’alerte et effective la défense, au moindre danger pour les citoyens.
Ce droit de parole publique nous a été retiré par les politiciens professionnels (avec leurs complices marchands et médiacrates), ceux que les Athéniens avaient pourtant bien repérés, il y a déjà 2 500 ans, comme particulièrement dangereux pour les libertés individuelles.
Les citoyens ont ainsi été ravalés (par leurs propres élus), il y a deux cents ans, au rang de simples électeurs : l’isegorie a été écarté au profit d’un simple droit de vote, tous les cinq ans seulement, avec, entre deux élections, AUCUN moyen institutionnel pour les citoyens de résister eux-mêmes aux éventuels abus de pouvoir.
Les faits donnent donc raison aux Athéniens, qui faisaient bien de se méfier des politiciens professionnels. Pour nos ancêtres démocrates, la rotation des charges était une priorité absolue, un objectif central : mandats courts et non renouvelables, tirage au sort parmi les volontaires soumis à un examen (docimasie) et contrôle étroit des représentants, à la fois en cours de mandat et en fin de mandat (reddition des comptes)…
Par la combinaison des contrôles sévères et du volontariat (en plus de la docimasie), le tirage au sort ne désignait nullement des incompétents.
Alors, certes, les blogs ne changeront pas tout, tout de suite, mais c’est un retour possible à l’hygiène de base d’une démocratie authentique — le débat général, libre et permanent — que nous offre cet outil inédit de prise de parole libre, récupéré subitement par les gens simples, au nez et à la barbe des oligarques :o)
À mon avis, on devrait en profiter vite, pendant qu’on a la parole, pour réfléchir ensemble à un projet de Constitution d’origine citoyenne (ce que j’appelle le plan C) pour rendre durable ce droit d’expression et de résistance, avant que les corporations ne sabordent Internet, considérant qu’elles ont plus à y perdre qu’à y gagner.
Amicalement.
PS : à mon avis, tout le monde devrait lire « Principes du gouvernement représentatif » de Bernard Manin (Champs Flammarion) et « La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène » de Mogens H. Hansen (Les belles lettres) : ce sont des phares dans la nuit de la politique moderne.
@ Etienne Chouard > "contrôle étroit des représentants, à la fois en cours de mandat et en fin de mandat (reddition des comptes)"
Ce contrôle en cours de mandat est un mécanisme de réajustement de l'action des représentants, probablement, et en fin de mandat il doit certainement pouvoir déboucher sur une sanction des représentants (en positif ou négatif).
Au passage, trouve-t-on là ce que proposait S Royal sous une autre appellation (jurys populaires) ?
Mais la question essentielle que pose ce type de contrôle est celui de la représentativité de ceux qui l'effectueront.
On a vu le plus souvent que l'influence appliquée aux élus par des émanations de l'électorat était le fait de lobbies (en général issus du monde de l'entreprise) ou d'autres types de groupes de pression très structurés et très actifs qui n'étaient pas toujours représentatifs de "l'opinion" générale et n'agissaient pas nécessairement au nom l'intérêt général.
Cela se produit du niveau de la plus petite municipalité jusqu'à celui des plus hautes sphères de l'état.
Il me semble que si le principe d'un contrôle citoyen des représentants "à l'athénienne" était retenu encore faudrait-il qu'il fût sérieusement codifié dans l'objectif qu'il soit véritablement garant de l'intérêt le plus général.
Mais quel niveau d'intérêt général faudra-t-il retenir ?
Car cette notion peut contenir de nombreuses contradiction et je pense à ce gisement de charbon découvert dans la Nièvre.
On peut considérer que le bénéfice d'une source d'énergie abondante et relativement bon marché s'inscrit dans le sens de l'intérêt du plus grand nombre même si l'ouverture de ce chantier bouscule des intérêts particuliers (compensables ?).
On peut aussi envisager que l'extraction d'un supplément important de carbone fossile sans garantie que nous saurons capter le CO2 inévitablement libéré par l'utilisation du charbon afin qu'il n'atteigne pas l'atmosphère va à l'encontre de l'intérêt général, au niveau de l'humanité.
Faudra-t-il retenir l'intérêt d'un meilleur développement économique d'une région, ou un intérêt supérieur ?
Mais ce qui vaut pour une région peut valoir pour un pays : pouvons-nous aujourd'hui nous contenter d'un intérêt général envisagé à une échelle relativement locale, ou devons-nous systématiquement privilégier un niveau d'intérêt à l'échelle de l'ensemble de l'humanité ?
Dans ce cas l'attitude à adopter ne sera peut-être plus une affaire d'opinion ou de démocratie mais de référence à UN code bien défini (et qui ne semble pas l'être à ce jour) tandis que la forme de démocratie à laquelle nous sommes habitués peut être vue comme la résultante des références à un ensemble assez indéfini de codes éventuellement contradictoires.
Ce code pourrait nous amener à nous prononcer à l'encontre de nos intérêts locaux (qui se traduisent généralement en termes financiers assez immédiats) au nom de l'intérêt général de l'humanité à long terme en sachant parfaitement que si nous sommes seuls à agir de la sorte nos décisions auront un poids dérisoire.
Les contours d'une démocratie plus démocratique et "durable" me semblent difficiles à définir...
Rédigé par : jcm | 26 novembre 2006 à 17:42
Quelques élémentes de réflexion, en écho au post d'Etienne, sur Athènes, sur le réseau, son succès, ses usages et ses usagers :
(depuis les montagnes du Sud-est mexicain et pendant que Oaxaca brule...)
PREMIEREMENT. Si dans la politique « ancienne » (c’est-à-dire depuis l’Athènes grecque jusqu’aux républiques modernes), l’État était la « mère » de l’individu et le sein dans lequel la société prenait racine, croissait et se reproduisait, dans le monde globalisé, l’État ne peut plus remplir cette fonction. L’individu n’a plus de raison de se référer à une patrie, une culture, une race ou une langue. Le ventre maternel est maintenant une méga-sphère que certains appellent encore « planète terre ». Le citoyen n’est plus le membre de la polis, mais le navigant de la méga-polis, et il a donc besoin d’ « autres » connaissances et moyens que l’État national ne peut lui offrir.
DEUXIEMEMENT. De la même façon, les « hommes d’État », ces super-hommes auteurs de citations classiques, de guerres, d’empires, de lois et de répressions n’existent plus en tant que tels. Ce vieil « entraînement » interne qui existait dans les classes politiques pour préparer leurs membres à se révéler les uns aux autres, est obsolète. Les moyens de la politique classique (art oratoire, habileté à diriger, sensibilité, modération, connaissance historique, philosophie, jurisprudence, relation adaptée) relèvent aujourd’hui de la nostalgie du cirque. Le protocole du pouvoir, ce mélange complexe de signaux et d’attitudes ne s’apprend ni ne s’exerce plus à l’intérieur de l’état
[...]
SEPTIEMEMENT : « Ces phénomènes de résistance (« bourses de résistance » comme nous les appelons pour les opposer aux « autres » bourses, celles des valeurs) essaient de trouver un lien avec des phénomènes semblables dans d’autres parties du monde. Les super-autoroutes de l’information conçues pour faciliter le flux des marchandises et de l’argent commencent à voir (non sans frayeur) qu’elles sont empruntées par des vieilles charrettes, des bêtes de somme et des piétons qui n’échangent ni marchandises ni capitaux, mais quelque chose de très dangereux : des expériences, des soutiens mutuels, des HISTOIRES. »
(extrait d’une communication du Sous Commandant insurgé Marcos.)
Rédigé par : casabaldi | 26 novembre 2006 à 22:17