Le monde n’a jamais été un fleuve tranquille. D’aussi loin qu’on se souvienne, guerres, famines, calamités naturelles, n’ont jamais cessé de troubler son cours.
Ce début du XXIe siècle ne fait pas exception. Mais les nuages qui s’accumulent aujourd’hui ont ceci de particulier qu’ils sont de natures multiples (financière, économique, démographique, environnementale, politique…), de portée universelle et non plus locale ou régionale, et menacent de combiner leurs effets à très courte échéance.
Récapitulons.
1- Le modèle unique de croissance quantitative de l’économie globale, fondé sur la prééminence d’un capitalisme devenu principalement financier, suppose des ressources infinies dans notre monde “fini“. La consommation croissante de matières premières (eau, pétrole, gaz, métaux) supposerait qu’elles soient inépuisables.
Ce n’est pas le cas et, faute de savoir imaginer un monde plus sobre, un mode de développement plus économe, nous devons nous préparer à deux conséquences, déjà perceptibles :
• Le prix des matières premières augmente sensiblement et rapidement,
• Leur contrôle est déjà générateur de tensions et de conflits (Proche-orient, Moyen-orient, Afrique). Ceux-ci ne cesseront de se multiplier et de s’aggraver au cours des décennies à venir.
2- La poussée démographique des pays pauvres, combinée à leur développement sur le modèle occidental, génère quatre types de conséquences indissociables :
• désertification rapide des campagnes, sur un modèle 80% de la population mondiale sur 20% des territoires,
• urbanisation croissante, dans des conditions désastreuses (3 milliards de nouveaux citadins, dans les 30 ans à venir),
• accroissement spectaculaire des flux migratoires à l’intérieur des pays en développement et vers les pays développés,
• développement d’un réservoir permanent de main-d’œuvre à bas coût (chaque année, sur les 30 ans à venir, 50 à 75 millions de “nouveaux“ travailleurs, venus des campagnes chinoises, indiennes, africaines ou autres).
3- Le modèle de croissance quantitative et l’industrialisation sans contrôle qui en résulte sont dévastateurs pour l’éco-système :
• Espèces végétales et animales disparaissent chaque année par milliers, du fait de l’activité humaine, menaçant les équilibres écologiques et la bio-diversité.
• Les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, dûs à l’activité humaine, bouleversent durablement les équilibres climatiques existants. En l’absence d’une prise en compte sérieuse et rapide de ces phénomènes au niveau global, les dérèglements climatiques que chacun peut constater, ne feront que s’aggraver, menaçant, par exemple, du fait de la fonte des glaciers, d’inonder des zones côtières déjà surpeuplées et aggravant les flux migratoires.
4- Les pays développés et, notamment, les Etats-Unis, connaissent des déséquilibres financiers importants. Leur économie est fondée sur l’endettement, s’agissant de la consommation des ménages, des systèmes de protection sociale, des systèmes de retraites (publics ou privés), comme de la gestion des pouvoirs publics.
Pour ne prendre qu’un exemple, le financement des retraites, dans un contexte où l’espérance de vie augmente en même temps qu’on assiste à la diminution du nombre des cotisants, voire à leur paupérisation, donc à la diminution relative de leurs contributions, ne sera pas assuré, dans les 30 ans qui viennent, sauf à ce que l’endettement des pays occidentaux atteigne des sommets ou, plutôt, des gouffres (le taux d’endettement de la France pourrait passer de 60% de son PIB actuel, à plus de 220% de son PIB en 2050).
Aujourd’hui, le niveau de vie américain et, dans une moindre mesure, celui des pays de l’Europe occidentale, est financé par le reste du monde, par le biais de placements publics ou privés. Cela ne durera pas.
Les premiers signes de ce retournement sont déjà perceptibles. Certains pays non-occidentaux redéploient la manne de leurs excédents commerciaux vers le financement de leur propre développement (c’est, dès maintenant, le cas de la Chine).
D’autres, comme le Japon, devront, à court et moyen terme, rapatrier des capitaux, aujourd’hui placés aux Etats-Unis, destinés à financer leur système de retraites.
D’autres encore, par conviction politique (le Vénézuéla ou la Bolivie, par exemple), souhaitent retrouver ou conquérir leur souveraineté et s’opposent à l’“impérialisme“ américain.
D’autres, enfin, par conviction religieuse (l’Arabie Saoudite, par exemple) pourraient finir par faire défaut au système.
Cette situation, aux causes protéiformes, porte déjà des conséquences sensibles :
• Le dollar connaît une crise de confiance importante depuis plusieurs années, cause de sa baisse et de la remontée subséquente de l’Euro,
• Les déficits commerciaux américains, qui ne cessent de se creuser (près de 800 milliards de dollars en 2006, contre 716 en 2005), ont de plus en plus de mal à être financés par les entrées de capitaux (par trois fois sur les sept derniers mois, les entrées de capitaux n’ont pas compensé les déficits).
La riposte du Trésor américain, depuis deux ans, consiste à augmenter le taux de rémunération du dollar. Mais ce mouvement, nécessaire, atteint un seuil (autour de 5%), au-delà duquel il entraînera un ralentissement de l’activité économique américaine, moteur de l’économie mondiale.
On est bien là devant un cercle vicieux : soit les taux augmentent pour soutenir le dollar et financer la dette, mais l’inflation générée ruinera les ménages endettés (notamment dans l’immobilier) et ralentira l’économie, voire la plongera dans la récession ; soit les taux n’augmentent plus et, la dette extérieure menaçant de n’être plus compensée par des entrées de capitaux, les Etats-Unis risquent tout simplement la faillite.
Il est à noter que, dans les deux cas, l’Europe, en dehors même de ses propres déséquilibres, est en première ligne pour faire les frais de la politique monétaire américaine, quelle qu’elle soit.
5- A ce tableau déjà chargé, on ajoutera quelques touches de géopolitique, marquée par la persistance des nationalismes de tout poil ou la résurgence d’abcès de fixation religieux, qui chacun, portent un potentiel important de tensions et de conflits.
Et, pour faire bonne mesure, on dira un mot de la crise du leadership américain, générée par l’incompréhension profonde qu’il a de sa place dans le monde. Dans un monde interdépendant, la morgue, l’égoïsme sacré ou la bunkerisation d’une super ou d’une hyper-puissance ne saurait constituer une politique responsable et porte en elle une chance de réussite aussi grande que celle de n’importe quelle ligne Maginot. On le voit dans le succès de l’aventure irakienne.
Enfin, conséquence de ce qui précède, face aux menaces globales, il n’existe aucune réponse globale : la gouvernance mondiale est en crise et l’Organisation des Nations Unies, malgré le travail de qualité de ses agences, est réduite à l’impuissance par ses membres les plus éminents : on l’a vérifié récemment avec le conflit du Liban.
On le voit, les crises inéluctables ou probables sont nombreuses. La nouveauté est leur imbrication, leur combinaison, leur portée planétaire, leur possible déclenchement simultané dans une période de temps limité et l’impréparation totale des populations ou des dirigeants à y faire face.
Un débat important aura lieu en France dans les mois qui viennent, à l’occasion de la prochaine élection présidentielle.
Il serait indigne, pour la démocratie, dangereux pour chacun de nous et criminel pour les générations montantes, qu’il ne soit pas l’occasion d’une prise de conscience et, au-delà des intérêts et des égoïsmes de chacun, d’une réflexion collective sur les réponses que nous devons préparer pour faire face, ici comme dans le reste du monde, aux mauvais vents qui s’annoncent.
(également publié dans Le Monde Citoyen)
Merci et bravo pour le travail de synthèse (qui s'affine et se précise à chaque nouvelle version).
(il semblerait que Larrouturou vienne également de rejoindre les rangs, toujours plus nombreux, de ceux qui ont compris qu'il allait se passer des choses énormes. Il évoque ds son prochain bouquin "Urgence sociale", le fait que nous serions à la veille de "la crise de 1929, 1789 et d'une troisième guerre mondiale").
Bref, un peu tard, mais welcome quand même.
Le débat autour de l'élection présidentielle est certes une opportunité que nous devons saisir ; mais nous devrons aussi il me semble, tirer des conclusions s'il devait s'avérer que le débat ou ces conséquences ne soient pas à la hauteur...
Je doute en effet, pour poursuivre le parallèle avec 1789, que l'essentiel se déroule à la cour...
Paradoxalement, je considère que la principale "opportunité" est la crise économique mondiale qui s'annonce. Elle créera comme nombre de ses petites soeurs (la disette de.. 1788, par ex) une situation propice à l'émergence d'autre chose.
à nous de savoir en profiter et d'y être prêts, ce qui est encore loin d'être le cas aujourd'hui. Si nous devions échouer, j'ai bien peur que d'autres s'y préparent et je ne suis pas sur qu'on soit très potes.
Ne serait-ce que pour ça, nous devons réussir.
Rédigé par : Casabaldi | 05 septembre 2006 à 11:57
Tel que c'est barré, le débat de la présidentielle, va porter à l'avant-scène les questions environnementales, principalement vues sous l'angle des économies d'énergie à réaliser (les Verts, Ségolène et Sarko en parlent déjà, avec une conviction de pros :).
Pour le reste (croissance, gestion des gros flux migratoires, dette extérieure, dette des ménages, retraites, imperium américain, rôle de l'Europe, etc), ça va être plus dur à caser, entre une séance photo avec Doc Gynéco et une avec Djamel.
Sans être réellement pessimiste, et tout en essayant de tirer le débat vers le l'essentiel, je crois qu'il faudra donc tirer les conclusions de tout ça. Mais que peuvent-elles être ?
PS : Un mot sur ce papier : il est long, très long, ce qui n'encourage pas la lecture et ne favorise pas les commentaires. J'en conviens, mais je n'ai jamais su écrire en sténo.
En tout cas, il est republié ce soir dans Le Monde Citoyen (http://www.lemondecitoyen.com/)et le sera également la semaine prochaine, me dit-on, dans un blog économique de belle qualité.
Rédigé par : josé | 05 septembre 2006 à 21:39
"je crois qu'il faudra donc tirer les conclusions de tout ça. Mais que peuvent-elles être ?"
--> Que, comme je le disais, ce n'est vraisemblablement pas à la cour que se dessinent les contours du nouveau régime.
Rédigé par : casabaldi | 06 septembre 2006 à 00:15
Aux échos que nous en donnent les médias, qui en sont les résonnateurs, les débats sur la présidentielle 2007 sont en moyenne déjà tout à fait indignes face "aux mauvais vents qui s’annoncent".
Je ne vois pas ce qui pourrait en infléchir l'orientation : il faudra probablement se contenter d'un plat de résistance conforme au hors d'oeuvre qu'on nous sert déjà, qui convient à des goinfres, des gougniafiers, pas à des gourmets...
La France pays de la gastronomie, peut-être, mais pas d'une si grande et si belle pensée...
Nous continuerons donc à accumuler tout ce qui pourra accroître le risque de crises graves, tout en nous montrant encore si fiers de notre magnifique intelligence qui nous sert de si merveilleux progrès...
Une intelligence qui se manifeste à chaque coin de rue, mais que nous devons cependant utiliser avec prudence : on ne peut tout dire, tout écrire, tout faire !
Il est même curieux que notre liberté d'expression soit à ce point grande dans le domaine de la politique alors qu'on la contraint vigoureusement si l'on aborde un sujet comme... le purin d'ortie !
Une conscience écologique est en train de naître : l'État la tue
Grave et dangereuse mesquinerie, en image de "la gouvernance" actuelle de la France ???
Et vous voudriez que le débat s'élève ???
Rédigé par : jcm | 06 septembre 2006 à 08:02