Comment a-t-on pu aboutir à cette absurdité ? Le principe, mis à la mode à la fin des années 80 et au début des années 90, était qu'il fallait élever le niveau d'éducation des français, et faire en sorte que 80% d'une classe d'âge aie le niveau du bac.
On a donc dépouillé les filières de formations courtes (le travail manuel, c'est bien assez bon pour les immigrés) et encombré les filières de formation longue, sans se donner les moyens pédagogiques et financiers d'en assurer la réussite. Quinze à vingt ans plus tard, que constate-t-on ?
Tout d'abord, un manque de main d'œuvre endémique dans les filières manuelles : les métiers du bâtiment sont en sous-effectifs perpétuels (de l'ordre de 50.000 emplois non pourvus) ; les métiers de l'artisanat meurent, faute de renouvellement des vocations ; les métiers du commerce alimentaire ont connu une mutation, dont chacun peut mesurer les conséquences, notamment hors des grandes villes : destruction massive du tissu des commerces indépendants de proximité, parallèle au développement de la grande distribution et des enseignes à succursales multiples.
A l'inverse, on constate une explosion de la masse des titulaires du bac et des diplômés de l'Université. Si l'on met de côté les privilégiés des grandes écoles, encore assurés de trouver un travail gratifiant et à peu près correctement rémunéré, les perspectives proposées aux bac + 3 à + 5 sont désastreuses : pour beaucoup, endettement bancaire destiné à financer des études de plus en plus longues, petits boulots en cours d'études, stages à n'en plus finir, premier emploi stable entre 26 et 30 ans, assorti d'un salaire le plus souvent médiocre et de perspectives d'évolution réduites.
Le plus absurde est encore ailleurs. Elever le niveau d'instruction, faire accomplir leurs “humanités“ à plus de gens est évidemment une bonne et belle chose. A condition d'en avoir l'utilité.
Or, dans le même temps où la qualification moyenne a augmenté, l'organisation du travail a changé. Le taylorisme, dont Chaplin a dressé le réquisitoire le plus parfait dans Les temps modernes, a semblé passer de mode dans l'industrie à la fin des années 60.
Après une trentaine d'années où l'on a vanté l'autonomie du travail individuel, la réduction du nombre des niveaux hiérarchiques dans l'entreprise, le taylorisme réapparait en force dans les industries de service.
L'obsession de la croissance (on dit “du chiffre“), du profit, de la productivité, la compression des effectifs, la multiplication des procédures (on dit “process“) et des normes de production, aboutissent à un travail d'exécution pure, morcelé, répétitif, infantilisant, stressant.
Entre 1984 et 1998, la proportion de salariés estimant faire un travail répétitif est passée de 20 à 29 %, selon les chiffres du ministère de l'Emploi. Le nombre de ceux qui travaillent sous la contrainte de normes ou sont soumis à des délais a évolué, dans le même temps, de 30 à 61 %.
Fallait-il donc former autant de cerveaux, si l'objectif était d'obtenir des robots ? Ou, à l'inverse, n'y a-t-il pas d'autres modes d'organisation du travail à redécouvrir, qui favorisent l'épanouissement des personnes ?
Lire, à ce propos, un bon article dans Libération d'aujourd'hui.
que dire d'autres que "bravo" après un article parfait ?
Rédigé par : hugo | 26 septembre 2006 à 12:27
Mouaich... ben faudrait surtout commencer par relire la déclaration universelle des droits de l'homme. ET arrêter de confondre "Education d'un citoyen" et "formation professionnelle". Pour moi, l'échec principal se situe au premier niveau, notamment parce qu'on a cherché à atteindre le second. Et ça ne s'améliorera pas tant qu'on n'aura pas fait clairement la distinction. Le job de l'Etat, c'est de former des citoyens. Pas de la chair à canon économique avec rien dans la casque (qui a dit "école de commerce ?). ça c'est le taff des entreprises.
bon allez, juste pour la forme :
DUDH.
Art 26.
2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
Rédigé par : François | 26 septembre 2006 à 12:58
Quant aux journalistes du Libégaro qui donnent des leçons sur "comment revaloriser le travail", ça ne peut que me faire doucement rigoler.
La valeur ajoutée se répartit entre rémunération du travail et du capital. Tous ceux qui disent aujourd'hui (notamment Nicolas et Pimprenelle) vouloir "revaloriser le travail" seraient bien avisés de comprendre rapidement qu'il n'y a qu'une façon de le faire : dévaloriser le capital.
Le reste est du bullshit pour medias.
(et à propos de Libé, il est vivement recommandé de lire "Libéartion, de Sartre à Rotschild" de Pierre RImbert chez Raisons d'agir, avant de se tacher les doigts et le cerveau avec ce truc).
Rédigé par : François | 26 septembre 2006 à 13:06
Hi Djosé
Dans un genre pas éloigné j'ai eu des commentaires très intéressants sur ce billet : http://adamkesher.canalblog.com/archives/2006/08/21/2495151.html (notamment ceux de El)
A suivre
Rédigé par : Adam Kesher | 26 septembre 2006 à 16:09
> Hi Adam, effectivement intéressants les commentaires chez toi, notamment ceux d'EL. C U Soon :)
> François, D'accord sur la distinction que tu fais (c'est d'ailleurs pour ça que j'utilise les mots “instruction“ -plutôt qu'éducation- d'un côté et, de l'autre, “faire accomplir leurs humanités.. -ce qui relève plus de l'éducation-). Sinon, je te renvoie à un texte d'Imagine 2012, intitulé “Redéfinir les missions de l'école“ (http://www.imagine2012.net/imagine_2012/2005/12/redfinir_les_mi.html) qui précise en toutes lettres :
“Quelle doit être la mission de l’Education ? S'agit-il de donner le savoir suffisant pour préparer les élèves à la vie active, de les former à la double fonction de producteurs et de consommateurs ? Ou s'agit-il de faire des citoyens responsables et des individus épanouis, aptes à appréhender de manière équilibrée leur vie personnelle, professionnelle et sociale ?“
Rédigé par : José | 27 septembre 2006 à 09:33
"Ou s'agit-il de faire des citoyens responsables et des individus épanouis, aptes à appréhender de manière équilibrée leur vie personnelle, professionnelle et sociale ?"
Tu deviens carrément (et intensément) subversif, José !!!
Te rends-tu compte qu'une telle voie pourrait ouvrir largement la porte à un renforcement des bataillons de faucheurs d'OGM, d'opposants aux lignes à très haute tension (voir cette question au sujet de l'EPR, en Cotentin), d'opposants à l'incinérateur de Fos (pour Marseille, dont les travaux devraient pouvoir commencer à moins d'une cassation du dernier jugement) etc... car vas savoir comment ces gens formés à réfléchir et à décider réfléchiraient et décideraient ?
Non, l'école est faite pour sélectionner les "bons" (qui ingurgitent ce qu'on leur sert, se taisent et auront peut-être un boulot s'ils sont très "bons") et les "mauvais" qu'on place en voie de garage (de gars - rage ?).
Et pour ce qui est du travail que décrocheront les "bons" : Vite fait mal fait.
Cet artile nous permet bien de déduire ce que doit être la mission de l'école : former des "bons" dociles, taiseux et véloces... comme les souhaitent les entreprises !
On discerne bien une sorte d'état d'esprit assez nauséabond dans tout cela, ainsi qu'une certaine logique à l'oeuvre, qui permet à l'employé français d'avoir un taux de productivité très élevé, supérieur de 25% à celui de nos voisins britanniques par exemple.
A rapporter à ces discussions sur les différences dans les durées de travail...
On se dit parfois qu'une bonne vieille île déserte pour se dorer la rondelle... (Y a dl'a joie, bonjour lazy rondelle !!!), mais avec la remontée des niveaux marins qui nous guette...
Puis comme il n'y aurait jamais assez d'îles désertes pour tout le monde ce serait encore la bataille...
Rédigé par : jcm | 27 septembre 2006 à 12:09
Subversif ? Je sais pas, jcm. Je crois avoir appris ça à l'école et au lycée. Bon c'était y a longtemps :)
Rédigé par : José | 27 septembre 2006 à 12:24