Deux personnes ou deux personnages : ils se sont aimés, puis désaimés. Voici ce que lui écrit à elle, en guise d'adieu. Un amant qui s'en va, c'est comme une année qui part. Elle est en nous et, pourtant, elle s'enfuit à jamais.
"De toi, je n'aurai connu qu'un premier regard. Comme une décharge électrique qui m'a fait basculer.
"Mais depuis, que s'est-il passé entre nous ? De la vie, c'est-à-dire pas grand-chose.
"J'ai accumulé des informations sur toi, je sais mille petites choses… Et puis quoi ? Je sais tout ce qu'il y a autour de toi, mais rien de ta magie, rien de ce qui m'a ébloui et me ravit encore. Tu restes intouchable... J'ai tout confondu. Comme toujours. Comme tout le monde. On croit tenir quelqu'un entre ses bras et on n'étreint que sa peau.
"Une histoire d'amour, ce devrait être deux regards qui se rencontrent, se fixent et se boivent éperdument dans une salle d'attente surpeuplée, deux regards d'inconnus qui vont se séparer au premier train qui part. Il faudrait toujours s'en tenir là. Mais on ferme les yeux pour retenir cette première brûlure, on s'acharne, on s'entête, dans l'abandon de soi, la souffrance, la défaite et, lorsqu'on rouvre les yeux, il fait nuit depuis longtemps déjà.
"Comme toujours, comme tout le monde, je t'ai aimée deux fois : il y avait mon rêve et toi. J'ai voulu que tu ressembles à mon rêve, mais la vie n'est pas docile, on ne change pas les autres. Peu à peu, le temps a fait son office et posé sa rouille sur une histoire que je voulais la plus belle.
"On ne s'aime pas moins parce qu'on a changé, mais parce que le rêve que chacun s'était fait de l'autre est devenu trop grand. Chacun rejoint alors sa vie, avec son baluchon d'illusions alourdi d'un peu de mort, prêt sans doute à les essayer, à la première occasion, sur une autre peau, plus neuve.
"Reste alors que les histoires d'amitié ou d'amour sont, comme toute affaire d'importance, des aventures solitaires. Peut-être faut-il tomber amoureux des pierres ?
"Pendant des mois, j'ai eu le sentiment de me noyer. Parce que j'avais cru pouvoir t'aimer en vivant à ton rythme. Mais tu as fait de moi un monstre. Je te regardais comme un miroir et, un jour, je ne m'y suis plus reconnu. Je n'étais plus que la caricature extrême, l'ombre de celui dont j'avais rêvé, j'avais fini par ne plus vouloir exister même à mes propres yeux. Je n'ai pas eu le courage de cette faiblesse-là.
"L'amour n'est-il vraiment qu'un festin cannibale, un rituel mécanique où l'un doit choisir d'être fort et l'autre faible, l'un prédateur, l'autre gibier ?
"Si encore les choses allaient au bout... Si la vie ne devait consister qu'à mourir de la main de ceux qu'on aime… Mais face à ceux qui aiment, on se sent merdeux comme devant un suicide et on a peur de se tacher les mains. On se tait. L'amour d'un autre, on devrait l'adorer comme un dieu étranger, lui parler comme à une fleur rare, le laisser s'épanouir en souriant ou alors, si l'on est incapable de ça, le tuer au plus vite pour lui épargner la souffrance et peut-être l'abjection. Mais on se tait.
"Cette mécanique absurde m'a détruit. Incapable de donner un sens à ma souffrance, j'aurais préféré mourir. Tu n'en as rien su : on ne gagne que du mépris à mendier des raisons de vivre.
"Aujourd'hui, je me sens fort de nouveau. Là où je vais, c'est encore loin. Je prendrai le temps d'y arriver. On vit toujours sur deux rythmes, souvent contradictoires : j'ai toujours su que je m'essoufle vite dans les petites choses, mais je peux tenir la route longtemps pour les grandes.
"Mon amour, ma tendresse, donnes-lui le nom que tu veux, n'a pas changé avec le temps. Je crois qu'on ne peut pas s'arrêter d'aimer. L'estime ou le respect, c'est autre chose, mais l'amour, non, on ne peut pas. Et cet amour exigeant, c'est peut-être ce que je porte de plus beau en moi, un trésor que je ne veux gâcher à aucun prix. Même désormais à celui de ta présence. Je veux que cela vive fort ou meure vite.
"Tout ce temps, si je n'ai rien appris sur toi, j'ai tout appris sur moi. Ce que je n'osais pas dire, faire ou être, le jusqu'au bout de ma laideur et de ma beauté, c'est toi, cet amour, qui me l'avez révélé.
“Tu m'as donné ce qu'il y a de plus rare, la seule victoire que peuvent espérer remporter ceux qui aiment sur ceux qui aiment moins, peut-être la seule victoire tout court, une victoire sur soi.
"Je m'en vais. Pendant près de … ans, on aura croisé au large l'un de l'autre, il reste des sillages, peut-être des regrets. Mais il reste également ces moments de plaisir et de bonheur, ces instants de pureté pleine d'un même regard posé sur les choses. Je t'en remercie.
"Je m'en vais mais, tu le sais, il n'y a pas de fin. "
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