Soyons clairs : il n’y a aujourd’hui personne, partisans du OUI en premier, en France ni ailleurs, pour approuver le texte Constitutionnel dans son ensemble. Ou pour le trouver parfait, merveilleux de bout en bout.
Pourquoi ? Parce que cette Constitution, fruit d’un travail de dix ans, est un triple compromis : entre personnalités de gauche et de droite, d’une part, entre fonctionnaires européens, d’autre part et, d’une troisième part, entre représentants de 25 pays, ayant chacun à cœur de préserver, comme c’est normal, ses intérêts nationaux, ses traditions politiques, ses alliances antérieures.
Que vaut la voix du Luxembourg, petit pays, face à celle de l’Allemagne ; que pèse l’alliance traditionnelle entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis, face au couple franco-allemand ; comment définir des règles financières, économiques ou sociales communes entre un petit pays, récemment sorti de l’orbite soviétique, en fringale de liberté, voire de libéralisme et un pays plus peuplé, plus prospère, avec une tradition sociale forte.
A partir de ces rapports de force multiples, complexes, il est logique qu’on aie hérité d’un texte technique, compliqué, alambiqué, semblant parfois dire tout et son contraire et, pour tout dire, illisible dans son intégralité pour un profane, c’est-à-dire pour un citoyen non juriste ou non professionnel de la politique.
Comment, dans ces conditions, argumenter pour défendre cette Constitution ? Depuis le début de la campagne, les tenants du OUI argumentent principalement en creux. Ils disent d’abord OUI, de manière défensive, pour empêcher le NON de gagner.
Leur second argument consiste à déplacer la question posée sur la Constitution vers une question de confiance sur l’Europe : OUI à la Constitution, parce que c’est la seule manière de signifier un OUI à l’Europe.
C’est un point fort. L’Europe est, au monde, avec la décolonisation, l’aventure politique la plus ambitieuse des 60 dernières années.
Il est de bon ton, aujourd’hui, d’en nier les acquis, de mettre sur son seul dos la déconfiture de nos systèmes économiques, politiques et sociaux, quand ceux-ci pâtissent plus vraisemblablement de nouveaux rapports de force mondiaux, qui voient l’émergence de puissances autrefois taillées et corvéées par l’Occident –donc par les pays d’Europe- et qui, aujourd’hui, réclament à bon droit leur part d’un gâteau dont elles étaient jusqu’ici spolliées.
Dire NON à la Constitution, c’est mettre l’Europe en panne pour 5 à 10 ans, le temps mécanique nécessaire pour entamer, conduire et conclure une nouvelle négociation.
Et sur quelles bases, d’ailleurs ? Sur celle des votes NON souverainistes ? Sur celle des votes NON anti-libéraux ? Et avec quelles chances d’aboutir à un nouveau compromis qui serait “meilleur“ et non “pire“ ? Cela dépendra, une fois de plus, du rapport de forces qui existera à l’heure d’une nouvelle négociation. Exemple : si l’Allemagne passe sous gouvernement CDU, qu’en serait-il des avancées sociales contenues dans le projet actuel et approuvées par 118 syndicats européens sur 120 ?
Pour ma part, je ne vois qu’une seule manière “simple“ de débloquer la situation si le NON passe. Je l’indique un peu plus bas.
OUI, parce que l’Europe unie est la garantie
de la stabilité et de la paix intérieure du Continent.
L’Europe unie, c’est le dépassement de nations qui se sont construites sur la guerre. Une Constitution commune, c’est une manière forte de formaliser ce qui rassemble aujourd’hui quand tout divisait hier.
Cette paix qui règne sur le territoire européen depuis 60 ans, certains pensent que d’autres la paient, que l’Europe exporte aujourd’hui ses guerres ailleurs, en Afrique notamment. C’est oublier que toute puissance est cannibale, que l’Europe a toujours exporté ses conflits, mais qu’en plus, avant, elle les consommait sur place.
Qu’après tant de guerres, de colonisations, de massacres, intérieurs et extérieurs, de pillages, l’Europe ait fini par comprendre que la guerre intérieure n’est pas un mode de régulation acceptable, c’est heureux. Qu’elle doive achever sa métamorphose en devenant un élément d’équilibre au XXIe siècle, plutôt que l’élément de déséquilibre mondial qu’elle a été de tous temps jusqu’aux deux-tiers du XXe siècle, c’est évident. On ne voit pas en quoi le refus d’institutions communes favoriserait ce projet.
OUI, parce que Constitution est une avancée politique et sociale par rapport aux textes régissant aujourd’hui l’Union Européenne. Le texte Constitutionnel est, en effet, un collage provenant de deux origines :
- Les Traités pré-existants, depuis le Traité de Rome (1958) jusqu’au Traité de Nice (2001), compilés dans le Titre III.
C’est cet agglomérat de dispositions principalement économiques qui est critiqué ou refusé par le NON de gauche.
- Les Titres I et II. Ils résultent de travail de la Commission de plus de 100 personnalités européennes, de gauche et de droite, présidée par Valéry Giscard d’Estaing. Ils complètent, amendent, corrigent le Titre III dans un sens favorable, établissent des principes d’une démocratie européenne, fixent des règles d’intégration politique, mettent en place des mécanismes de gouvernement.
En tout état de cause, si le NON passe, les dispositions du Titre III resteront en vigueur. Sans être amendées par les avancées réelles des Titres I et II. Robert Badinter (découragé), hier : “(Si le NON passe) on refuse un progrès important et on ne gagne rien. Rien… RIEN.“
Si le NON passe, d’ailleurs, sauf à reprendre le processus depuis le début, ou à former une Assemblée Constituante –ce qu’on aurait dû faire à l’origine, pour donner une base démocratique à ce projet-, je ne vois qu’une manière de débloquer la situation, sans devoir tout récrire :
“DÉCONSTITUTIONNALISER“ le Titre III, c’est-à-dire maintenir aux Traités qui le constituent leur valeur juridique actuelle, sans les sacraliser. On se demande d’ailleurs comment les Constituants n’y ont pas pensé plus tôt. Mais est-ce aujourd’hui possible ? Je n’en ai pas la moindre idée.
OUI, parce que l’Europe unie constitue
la plus vaste zone de droit et de démocratie formelle au monde.
A cet égard, là encore, les tenants du OUI se veulent “réalistes“. Peut mieux faire ? Oui, mais à condition d’être dedans et pas dehors, à condition de saisir les petits ou les grands progrès contenus dans le Traité et de travailler ensuite à les améliorer encore et encore.
OUI, parce que l’Europe a besoin d’institutions
pour compter dans le monde
Sans capacité politique d’agir ensemble, chacun de ces pays n’a plus la taille pour compter dans les négociations internationales, économiques ou politiques. Ensemble, les 25 pays de l’Union, moyens ou petits, atteignent la taille critique nécessaire pour faire entendre leur voix et dialoguer avec les Empires mondiaux existants ou en développement (Etats-Unis, Chine, Inde…).
Le NON, à l’inverse de ce qui s’affirme ici ou là, ramènerait l’Europe à une simple zone de libre-échange, livrée sans frein aux marchés, sans poids politique. C’est la conception anglaise depuis des décennies, c’est le souhait américain.
Les Etats-Unis poussent d’ailleurs à l’élargissement de l’Union, pour mieux en dissoudre l’identité, sur le mode “plus ils seront nombreux, plus ils seront paralysés et à notre main”. Ils ne manquent pas d’alliés au sein même de l’Union. Le NON confortera ceux-là.
Pour le reste, lire ici la déclaration d’hier soir de Jacques Chirac, catalogue complet des bonnes raisons de voter OUI. L’inconvénient de cet argumentaire, c’est son auteur : Chirac étant un européen tiède et un menteur professionnel, peut-on, doit-on le croire cette fois ?
Par rapport à la paix et à la guerre, je pense surtout que notre génération (j'ai 27 ans) n'a plus la mémoire d'une guerre. Les poilus mangent les pissenlits par la racine et, dans ma famille par ex, plus personne pour m'expliquer ce qu'on vit au front. On doit être l'une des premières générations en France depuis un bon siècle (au moins...) à ne plus avoir autour de nous cette "mémoire" de la guerre.
Rédigé par : MrFab | 27 mai 2005 à 11:48
Eh bien, cette absence de mémoire-là, que je nous souhaite longue, on la doit à des hommes comme Jean Monnet et Robert Schuman, qui se sont battu pour construire l'Europe, à Conrad Adenauer et de Gaulle, qui ont construit l'amitié et de la coopération franco-allemande, à VGE et Helmut Schmitt, puis à Mitterrand et Kohl qui l'ont renforcée, et bien d'autres avec et après eux.
Ce qui est regrettable n'est pas tant qu'on n'aie pas transmis les détails crapoteux de la vie au front, mais que ses promoteurs actuels -technocrates plus que grands politiques- ne sachent pas revivifier, entretenir et transmettre aujourd'hui, l'ambition, l'ampleur, la beauté du projet européen.
Rédigé par : Jo | 27 mai 2005 à 14:37
Bon tout ça est bien gentil, mais franchement j’ai un peu l’impression que ce serait un autre texte, à partir du moment où ce texte est le fruit des trois compromis que tu énonces, alors tu approuverais ce texte !
Sur quels critères établir le « meilleur »“ ou le « pire » d’un autre texte ? Je ne vois pas bien ce qui te permet d’affirmer qu’il sera pire (ou meilleur d’ailleurs). Sur la base d’une meilleure adaptation de l’outil productif européen ? Sur le fait que cet équilibre peut exister alors il en est équilibre stable (pour faire une comparaison avec la dynamique) ?
Je crois plutôt que les aspirations des gens, leurs attentes, mêmes si elles ne sont pas formulées de manière claire et consciente, leurs désirs, ne sont pas satisfaits. Que leurs frustrations, que le vide de projet qui leur proposé par le politique, conduit au refus de ce texte proposé, parce qu’il ne répond en rien aux problèmes individuels et collectifs des gens, alors que dans le même temps ils sont tris tour à tour pour des cons, pour des consommateurs (j’te vends le TCE comme de la lessive), pour des gamins à qui on essaye de faire peur et qu’on fait culpabiliser… Peut être que dans un autre espace et dans un autre temps ce texte aurait été approuvé, mais ce n’est pas le problème. La question est que ce texte ne s’inscrit pas dans le sens de l’histoire (pour revenir à des notions marxistes que tu effleurais dans un post précédent) : la gouvernance (si il s’agit bien de ça, mais j’en parlerai après) proposée dans ce texte ne répond en rien aux rapports socio-économiques ressentis par une majorité de la population. Franchement, si le prochain texte prend 10 ans, dans le sens de l’histoire qu’est-ce que c’est ? Il vaut mieux faire un truc à chier maintenant pour faire un truc si je comprends bien ton propos (puisque tu dis que le texte n’est pas génial)… moi cette démarche me fais juste penser à un jeu stratégique entre entreprises concurrentes qui joue des effets d’annonce, des sorties de produits non nécessairement au point, juste pour acquérir un avantage concurrentiel déterminant. Tu trouveras plein d’exemple dans le secteur pharmaceutique et la course au médicament et au brevet. C’est également un des fondements de la stratégie concurrentielle de Microsoft. Franchement, est ce qu’un projet de constitution doit s’inscrire dans cette démarche de course technologique et de course stratégique ? Quels sont alors tes concurrents ? La Chine, l’Inde, Les Etats-Unis ? Cette vision là me choque au plus au point, parce que 1/ elle n’offre pas de base à un épanouissement de chacun ; 2/ les formes de guerre et de haine (que soit disant le TCE supprime ! sic !) sont transposées sur d’autres points focaux, matérialisés par des marques, des noms d’entreprises, des équipes de foot… (je te laisse te trouver tes propres exemples). Dans ce sens, des tenants du « oui » font culpabiliser l’électeur sur cette thématique : il faut voter « oui » pour faire la nique aux Etats-Unis ou à la Chine. Dans un de tes posts tu suis la même démarche, de haine de l’autre, mais sur des critères économiques. C’est ces mêmes arguments qui conduisaient Chirac à refuser l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans l’Europe il y a quelques années, et qui aujourd’hui sont transposés à la Chine et aux Etats-Unis d’un côté, et en faveur du TCE en même temps ! Quelle belle schizophrénie !
Alors les « oui » réveillent les morts (des vrais et des vrais !) : ce qu’aurait voté De Gaulle au lendemain de je ne sais quoi, ce qu’aurait voté Jaurès, ce qu’aurait voté Jospin…
Bien sûr que dans mon approche du sens de l’histoire, tu me rétorqueras que les classes sociales ne sont pas homogènes et que leurs revendications (attentes) ne le sont pas non plus. Pourtant je crois que la séparation entre d’un côté la structure du pouvoir politique et économique et de l’autre, les relations socio-économiques est robuste à l’hétérogénéité des classes, parce que les regroupements s’opèrent sur des quêtes de sens et des attentes minimales.
Maintenant peut être penses tu que nous sommes à 10 ans près, ce qui serait 1/ un paradoxe dans ton schéma d’analyse, 2/ non justifié ou justifié par autre chose que le TCE. Moi je pense effectivement qu’il y a urgence, mais urgence de penser autrement, de construire des représentations du monde alternatives à la théorie néoclassique du libre fonctionnement des marchés qui conduirait à « la paix » (sur laquelle tu reviens dans cesse), le partage des richesses, la lutte contre la pollution et la protection de la planète ? Je ne comprends pas comment tu peux résoudre cette incohérence ? Franchement, la paix doit se construire dans le cadre d’une gouvernance mondiale et non régionale, en passant par la fin de la fabrication des armes et des armées, en passant par un meilleur partage des rentes, et pas par l’adoption de ton texte si « imparfait » ! Mais putaing’ exporter ces conflits, en quoi ce serait mieux que de les consommer sur place ? Parce que l’Afrique on s’en tape ? (au passage, super ce passage sur « de tout temps les européens » !!!! Non c’est super émouvant. T’aurais pu ajouté que l’Europe s’est construite sur les cendres des camps de concentration et franchement je crois que je me mettais à pleurer. Non sans déconner ? Demain on repart comme en 40, c’est ça ? Mais normalement, c’est la phrase d’introduction « de tous temps blablabla »).
Enfin l’avancée sociale de l’Europe faudra m’expliquer en quoi le démantèlement de services publics en Services Economiques d’Intérêts Généraux est un progrès et est social ! A moins que ce soit juste pour caser le mot social quelque part pour faire genre et donner une impression de bondieuserie.
Je crois surtout qu’il est temps de rompre avec la société du travail que la politique actuelle a hérité soit de la religion catholique, soit de la pensée hégélienne. Et c’est dans ce sens qu’il faut penser un projet d’épanouissement de l’homme.
Rédigé par : Robert | 27 mai 2005 à 15:07
Salut Robert,
Loin de moi d'exciter à la haine contre qui que ce soit, et encore moins contre les chinois. T'as lu ça où dans mes post ? Pourrais-tu te concentrer quand tu lis, c'est mieux pour comprendre le monsieur.
Mais bon dieu, sur quelle planête sommes-nous ? Tu vis chez Disney ? Chez “j'veux pas l'savoir, ça rentre pas dans mes cases“ ? Chez “monidéal.com“ ?
Pour ma part, j'ai une méthode. Y compris dans ce blog. Je vis dans le monde tel qu'il est. J'essaie de le comprendre, ce qui n'est pas si simple. De faire avec, et de l'amender, si possible, là où c'est possible. Au quotidien. Obstinément.
Et, par ailleurs, ou en même temps, je passe du temps à réfléchir à l'avenir. En écoutant, en cherchant des possibles ou des “encore“ impossibles. Des utopies. Concrètes, si possible.
Vivre au présent et préparer l'avenir. Pas refuser le présent parce qu'il n'entre pas dans des schémas idéaux, scolaires, irréels et confus. Changer le monde, ce n'est pas l'ignorer, c'est le prendre tel qu'il est. Et le tordre ensuite. C'est du travail, c'est laborieux...
Je te conseille cette méthode, parce que sinon, tu seras déjà mort que tu n'auras pas commencé de vivre.
Rédigé par : Jo | 27 mai 2005 à 17:33
François,
Merci de ton commentaire sur le oui.
Le dialogue, connais pas. On choisit le terrain, on affirme sans preuve, on ne répond surtout pas aux points qui pourraient faire débat, on discrédite son interlocuteur sans désemparer, on se drape bien sûr dans les oripeaux de l'honnête homme ou de la victime.
Les grosses ficelles de toutes les vulgates totalitaires, je les connais par cœur et peut-être les ai-je pratiquées bien avant toi. Je n'en suis pas fier aujourd'hui. Et toi ?
Rédigé par : Jo | 27 mai 2005 à 20:49